Ou comment une gourmande invétérée (puisque « gourmette » il ne peut y avoir…) parvient à conserver sa silhouette arrondie dans un pays où se régaler est secondaire…
Eh bien, c’est très simple : il faut une force mentale hors pair ! À côté, les survivants de Koh-Lanta sont des petits joueurs. Parce que bon, se résigner, par manque d’imagination à mon avis, à manger uniquement des noix de coco crues, c’est un petit peu facile, tout de même. Qu’ils ne viennent pas après se plaindre s’ils maigrissent, ces imbéciles ! Adieux grosses fesses si confortables pour s’asseoir, bye bye ventres rebondis qui attendrissent les épouses, au revoir seins volumineux qui fascinent tant les hommes !
Digression : quelle femme ayant un jour osé le décolleté plongeant et/ou le soutien-gorge push-up n’a pas été émerveillée par l’effet quasi-hypnotique qu’ont les seins sur la partie masculine de l’humanité ? Avez-vous remarqué l’intense lutte intérieure à laquelle se livrent devant eux (les seins, suivez quoi !) certains messieurs ? (Je ne parle évidemment pas des malotrus qui eux ne résistent pas et fixent vos seins sans vergogne, vous salissant tout autant avec leurs yeux qu’ils le feraient s’ils posaient leurs deux pattes perverses directement sur vos deux globes. Ceux-là ne présentent aucun intérêt). Comment ne pas être impressionnée par leurs regards incontrôlables qui inévitablement, malgré des efforts visibles et presque sincères, redescendent, possédés, vers vos mamelles nourricières ainsi offertes à leur concupiscence ? Vous l’avez vu, vous aussi, ce désarroi comique qui s’imprime alors, parfois, sur les faces empourprées et gênées de ces hommes. En eux s’affrontent l’éducation (on regarde les gens dans les yeux quand on leur parle, y compris les femmes à gros seins) et une invincible pulsion qui, quoi qu’ils fassent, ramènent leurs pauvres yeux éberlués vers ces deux boules blanches et molles qui les affolent. Lorsque les mères, enfin libérées des tabous millénaires qui contraignent leur sexe, pourront enseigner à leurs filles le réel pouvoir des seins, le monde en sera transformé ! Mais je m’égare…
Si je veux faire honneur à la féminité dont m’a gratifiée le hasard lors de la rencontre improbable de deux gamètes XX au cours d’un coït tout aussi improbable entre mes futurs géniteurs, deux solutions s’imposent à moi : m’empiffrer de fritures et hamburgers divers, ou tenter de revenir à de vraies valeurs culinaires en me contentant de ce que je trouve. Bien-sûr, je choisis la deuxième soluce. Les hot-dogs, c’est bien les jours de déprime à la Bridget Jones. Ça et un litre de glace au chocolat. Mais au quotidien…
Me voici donc partie au supermarché, où en fait il n’y a rien, mais rien de ce que j’aimerais y trouver. L’angoisse… Quelques exemples :
Rayon charcuterie (mon préféré, normalement !) : la charcuterie n’existe pas ici, tout simplement, à part quelques désespérants salamis dits « italiens » ou « hollandais » (va savoir pourquoi) enrubannés dans des plastiques opaques et multicolores rebutants (on dirait les saucissons de viande à chien…), des tonnes de bacons sous toutes les formes, et des milliers de saucisses de toutes les tailles et de toutes les couleurs, disponibles en paquets de 400 grammes minimum. Point. Ah non, je mens, il y a aussi du jambon blanc, mais il faut acheter le jambon en entier (1,5 kg minimum). Pratique.
Rayon viande : des steaks gigantesques (minimum 300 g), des côtes de porc du même tonneau, des gigots d’agneau monstrueux, des hauts de cuisses de poulets (élevés en batteries bien-sûr) désossés ! Oui, désossés. Et au goût plutôt révoltant, j’ai testé. C’est tout. Et c’est très cher. Point de lapin, cheval, veau, dinde (enfin si, on trouve de la dinde mais entière donc énorme, et congelée). Peu d’abats (des foies ou cœurs de poulet parfois, du foie de mouton). Il n’y a la plupart du temps de poulet entier qu’élevé en batteries, mais quelquefois, on trouve un poulet fermier, le plus souvent congelé et hors de prix. Résultat, je tuerais pour un blanc de poulet (fermier) au curry ! Vous aurez d’ailleurs noté que la viande est vendue en quantités démesurées, familiales. À croire que je suis la seule personne à vivre seule avec juste un mini-réfrigérateur équipé d’un mini-freezer dans ce pays.
Rayon poisson : je passe,
la plupart du temps, il n’y en a pas. Ou le poisson est
Et les petits commerçants alors ? me demandez-vous en fronçant les sourcils. Il faut faire vivre les petits commerçants, enfin ! Sauf que les commerces de bouche sont une théorie lointaine, ici, mes enfants. Je crois qu’il y a un boucher quelque part dans la campagne à 4 km du village, il faut aller au salon de thé tôt le matin pour trouver du pain frais (sinon, on a « tout ce qu’il faut » dans l’immense rayon de pains tranchés, genre pains de mie améliorés sous plastique…), et le primeur, c’est en réalité juste le gars du coin qui cultive son propre potager et qui vend son surplus (et il faut là aussi passer tôt le matin, pratique !). Le poissonnier... c’est quoi déjà un poissonnier ?
Les supermarchés, c’est aussi : un rayon entier consacré aux chips à tous les parfums (les chips natures sont rarissimes), des petits pois à la menthe (en boite ou surgelés, les petits pois « nature » n’existent pas), pas de crème fraiche ou plutôt uniquement de la crème liquide au rayon lait, très peu de fromages, ou alors excessivement chers, à part le Cheddar et l’Edam Néo-Zélandais (…), généralement vendu par portions plastifiées de 500 g minimum (pratique !), la possibilité de retirer des espèces à la caisse au moment de payer ses courses (on peut aussi retirer de l’argent à la station-service), des magazines dits féminins très potins (Angelina Jolie détient certainement le record des unes de magazines en Nouvelle-Zélande), quelques rayons non-alimentaires (produits d’hygiène et cosmétiques de base, produits pour le ménage et la vaisselle, papier-toilette et tutti quanti), sachant que les hypermarchés n’existent pas (sauf à Auckland) et tout ce qui concerne l’habitat, les casseroles, torchons, balais, appareils électroménagers, etc., c’est ailleurs que ça se passe. Un supermarché ici équivaut quasiment à la supérette du coin en France.
Ajoutez à ça que dans mon meublé, j’ai été généreusement dotée par mes propriétaires (elle est néo-zélandaise et lui est américain, tout un programme gastronomique !) d’une minuscule casserole en alu (à peine si je peux y faire cuire une portion de pâtes), une mini-cocotte toujours en aluminium sans couvercle (j’utilise une poêle comme couvercle, pratique), et deux poêles en fonte d’au-moins 27 kg chacune (dont le manche de l’une a une fâcheuse tendance à se dévisser, j’angoisse à chaque fois à l’idée de me la prendre sur les pieds). J’avais comme objectif de n’acheter que le strict nécessaire dans cette maison puisque je ne vais pas y faire ma vie, et aussi parce que c’est bon de savoir se contenter de ce qu’on a. Mais là, je craque, et pour moi strict nécessaire veut aussi dire batterie de casseroles (avec couvercles !), poêles, doseur et plats divers (à gratin, à tarte, etc. Mmmm !). Quand j'aurai tout ça, je retournerai faire les courses, et on va voir ce qu’on va voir, non mais !
De toute façon, le proverbe dit : nécessité fait loi. Je ne peux décemment pas vivre sans me régaler au moins une fois par jour ! (Docteur, est-ce normal ?) C’est donc mon nouveau défi : survivre dans une terre gastronomiquement hostile ! Je peux le faire ! Hier par exemple, j’ai réussi à me préparer un délicieux plat de blettes à l’ail et à la crème (liquide). Tout n’est peut-être qu’une question d’adaptation.