1, 2, 3 (étapes) ....Chômeur !

Publié le 29 novembre 2009 par Christophe Foraison

Je viens de voir le thème du chômage en Terminale et je vais l'aborder en Seconde.

L'une des difficultés est de donner une réponse à la question suivante: qu'est-ce qu'un chômeur ?

Cela parait simple à priori.

En réalité, les élèves - même s'ils n'en ont pas conscience- pointent souvent, par leurs questions, les obstacles liés à cette question: est-ce seulement quelqu'un qui n'a pas d'emploi et qui en cherche un ?

Retracer (très brièvement) une partie de l'histoire de la notion de chômeur peut permettre d'apporter quelques éclairages supplémentaires et remettre en perspectives les polémiques depuis une dizaine d'années en France sur cet indicateur.

Etape 1/ Pauvres, indigents, vagabonds ou sans-emploi ?

   (fin XIX- début XX)

Avec l'essor du capitalisme naissant, le salarié était celui qui  n’avait rien à échanger hormis sa force de travail. Etre salarié, à l'époque, c’était s’installer dans la dépendance ; ce qui n'était pas le cas des travailleurs indépendants qui pouvaient bénéficier d'une sécurité realtive fondée sur la propriété privée de leurs terres, de leurs commerces ou de leurs boutiques... C'était être condamné à vivre « au jour la journée » (on était payé la journée).

Par conséquent, le salarié pouvait se retrouver très rapidement sans emploi, pauvre et vagabond.

En 1891, en France, dans le recensement, il existait une catégorie particulière, la "population non classée" qui comprenait des actifs et des inactifs !

Ainsi, cette catégorie englobait des:

- "professions inconnues"

- "individus non classés" : enfants trouvés, placés en nourrice, personnes internées dans les asiles...

- "sans profession" : personnes qui ont déclaré "être sans place" (donc proche du chômeur), mais aussi saltimbanques, bohémiens, vagabonds et filles publiques !!

(source: R. Salais l'invention du chômage  PUF 1986)

Cet indicateur statistique avait, évidemment de moins en moins de sens.

Il a donc fallu faire une différence entre les pauvres, les marginaux et les sans emploi (ce qui n'allait pas de soi au départ puisqu'ils étaient confondus !)

Les seconds étaient sans emploi mais ils avaient des dispositions à exercer une activité professionnelle déclarée et rémunérée.

On a donc franchit une première étape en distinguant pauvre et sans emploi . R. Salais montre qu'une étape décisive a été réalisée lors du recensement de 1896 en France.


 

Etape 2 / Le chômage fait individuel ou social ?

(début XX- entre-deux guerres - fin XX)

Dans les centres urbains, le salariat s'étend, mais il est dépourvu de protection et connaît un chômage important (notamment lors des nombreuses crises économiques).

Certains vont expliquer en partie ce chômage par le comportement individuel : refus de travailler aux conditions de l'employeur, instabilité de la main d'oeuvre face aux conditions de travail de l'industrie moderne qui passe au taylorisme....

Pourtant, dès le début du XX, d'autres vont élaborer des analyses différentes comme l'économiste William Beveridge "Unemployment: a Problem of industry" et le sociologue Max Lazard "Le chômage et la profession du sociologue".

Le chômage est expliqué comme un fait social: il est relié à la situation industrielle et sociale. Ce n'est plus un fait individuel.

Ainsi, le chômage résulte d'un sous-emploi (Keynes ne dira pas autre chose dans les années 1930).

Ce renversement de perspective va ouvrir de nouvelles perspectives:

- En 1920,  l'Organisation Internationale du Travail nomme une Commission technique du chômage pour améliorer les statistiques du chômage  ; elle fait appel à des experts, dont William Henry Beveridge, Max Lazard et Lucien March.

Elle propose une définition du chômage involontaire  :

«  le chômage est la situation du travailleur qui, pouvant et voulant occuper un emploi soumis à un contrat de travail, se trouve sans travail et dans l’impossibilité, par suite de l’état du marché du travail, d’être occupé dans un tel emploi ».

- Des droits et des devoirs collectifs du salariat se mettent alors progressivement en place : le travail devient emploi  (c'est-à-dire un statut social de plus en plus stable permettant d'acquérir des droits sociaux) comme le dit Robert Castel. 

Le chômeur est celui qui veut accéder à ce statut mais qui ne peut pas.

La société va alors pouvoir l'y aider par la création de bureaux de placements (aide à la recherche d'emploi) et par la mise en place de l'assurance- chômage (redistribution de revenus aux chômeurs ayant cotisé).

Ce sera l'âge d'or du salariat fordiste (c'est alors l'emploi typique qui devient la norme).

- le taux de chômage va devenir un indicateur standardisé qui va prendre un sens très important au cours des Trente Glorieuses et de la crise économique des années 1970.

Le BIT (Bureau International du Travail), dans une étude de 1995 intitulée Controverses sur les statistiques du travail, indique que le taux de chômage est perçu comme :

- un indicateur de paix sociale : peu de chômage = bien être de la population assurée d'avoir un emploi stable qui garantit une intégration sociale,

- un indicateur de résultats économiques : on mesure les performances des gouvernements, on compare les pays entre eux à partir de ce chiffre.






Etape III / Que mesure-t-on : le sans emploi ou le sous-emploi ? 

Les polémiques régulières sur la publication des chiffres du chômage peuvent alors s'interpréter comme une remise en cause de cet indicateur à la fois comme un mauvais reflet de la représentation du marché du travail et comme une crise de légitimité du rôle des pouvoirs publics. Ceux-ci sont accusés de ne pas endiguer la montée du chômage et / ou de masquer la réalité en modifiant les instruments de mesure.

Cette remise en cause est d'autant plus importante que le mode de régulation des Trente Glorieuses (voir étape II) a été mis à mal par les changements technologiques, la mondialisation et les politiques de restrictions budgétaires depuis plus de vingt ans.

Pour tenter de résumer ces critiques, on peut distinguer deux aspects:

- une première série de critiques portent sur le degré d'implication du chômeur dans la recherche d'un emploi (ce qui nous ramènent au débat de l'entre-deux guerres : chômage fait individuel ou social ?).
Certains, en effet, pensent qu'il existe des "faux-chômeurs", c'est-à-dire des individus qui se déclarent chômeur mais qui ne recherchent pas d'emploi. Le débat s'engage alors sur le fait de savoir pour quelles raisons ils ne cherchent pas d'emploi.

Pour les uns, c'est en partie parce qu'ils n'y sont pas incités en raison d'un système de protection sociale très développé. On retrouve l'idée du comportement individuel mais sous la forme d'un raisonnement lié au calcul coût / avantage que ferait l'individu pour arbitrer entre travail et loisir: si l'indemnisation du chômage est juste un peu plus faible que le revenu d'activité, alors on incite l'individu à ne pas retrouver un emploi.

Pour les autres, si ces chômeurs ne recherchent plus d'emploi, c'est parce-que l'appareil productif ne leur permet plus d'en espérer: en période de marasme économique, l'emploi se fait rare, la concurrence est rude et certains chômeurs, après avoir tenté d'obtenir à maintes reprises un emploi, sont découragés.

Ainsi, cette critique met plutôt en avant le fait que le taux de chômage a tendance à surestimer le phénomène (puisqu'on y comptabilise des personnes qui ne seraient pas réellement en recherche d'emploi).



  - une deuxième série de critiques est plus fréquente en période de reprise économique, lorsque le taux de chômage commence à baisser.

Elle a pour origine une représentation de l'emploi qui provient des Trente Glorieuses: on considère qu'un emploi est un engagement à long terme (emploi typique) qui permet une intégration sociale.

Or, parmi les actifs occupés, il existe un certain nombre de personnes qui ont un emploi ne correspondant pas à cette norme: les emplois instables (CDD, intérim...), les emplois à temps partiel subi ou les emplois qui ne correspondent pas à la qualification de l'individu (qui se retrouve alors "déclassé").

Dès lors, en période de reflux du nombre de chômeurs, certains contestent la pertinence de cet indicateur en arguant du fait que la situation est bien plus grave : le taux de chômage sous estime dons la réalité.


 Nous essayons toujours de mettre en perspective le taux de chômage. Nous comparons le taux de chômage par sexe, par âge, par diplôme, par PCS; ce qui permet de mettre en avant le fait que certains individus soient plus vulnérables que d'autres. De plus, nous analysons la part des chômeurs longue durée dans le total des chômeurs et la durée moyenne du chômage, ce qui permet de voir si cette situation est durable ou non (notion d'employabilité).

La 18e Conférence internationale des statisticiens du travail de novembre 2008  a présenté un rapport intitulé «  Au-delà du chômage  : mesures d’autres formes de la sous-utilisation de la main-d’œuvre  », qui explique les raisons pour lesquelles il est souhaitable de mettre au point des mesures de la sous-utilisation de la main-d’œuvre en complément du taux de chômage qui devraient inclure trois composantes : le déficit de l’offre de travail, les gains faibles de salaire et l’utilisation inadéquate des compétences.

Dès lors, comme pour beaucoup d'autres indicateurs, il convient de mettre en place de nouveaux instruments de mesure afin de mieux appréhender les changements économiques et sociaux à l'oeuvre.

Pour prolonger:

- un excellent article sur le site de l'IRIS de Isabelle Lespinet-Moret et Ingrid LIiebeskind-Sauthier : Albert Thomas, le BIT et le chômage : expertise, catégorisation et action politique internationale

- un rapport du CNIS groupe de travail sur les indicateurs de l'emploi, du chômage et de la précarité


- tous les articles sur les débats en France autour des chiffres du chômage (site ACDC)

On peut aussi relire (avec humour) la série des tontons chômeurs (le 1, le 2 et le 3)


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