Capitaine d’industrie millionnaire et proche des hautes sphères du pouvoir, Stanislas Graff est enlevé devant son immeuble par un commando de truands. C’est le début d’un calvaire de plusieurs semaines où il sera humilié, maltraité et même amputé par ses geôliers, résistant dignement à l’épreuve, mais attendant impatiemment que ses proches paient la rançon et le libèrent de cette captivité éprouvante.
Pendant ce temps, tous ses secrets les plus intimes sont révélés au grand jour, suite aux enquêtes menées par la police ou les journaux. On découvre que sa fortune n’est pas si grande que cela, car il jouait – et perdait - de fortes sommes au poker, qu’il entretenait plusieurs aventures extraconjugales. Bref qu’il n’était pas ce modèle de vertu que l’on pensait…
Après La raison du plus faible, Lucas Belvaux persiste dans la voie du thriller psychologique et social avec Rapt, une fiction très fortement inspirée d’un fait divers réel, l’enlèvement du baron Empain, en janvier 1978. L’homme d’affaires vécut deux mois de détention et de sévices avant d’être relâché par ses geôliers et eut beaucoup de mal à retrouver une vie normale après cela.
C’est justement cette partie de l’histoire qui a intéressé le cinéaste belge. Plus que l’enlèvement et l’expérience de la captivité, il axe son film sur ce qui se passe après la libération, une fois que le personnage rentre chez lui et se trouve confronté au regard de ses proches. Une expérience plus douloureuse que la détention…
En fait, tant que Graff/Empain est retenu en otage, les choses sont simples, les rapports de force clairement établis. Les malfrats ne sont motivés que par une chose : l’argent et la liberté qu’il permet d’obtenir. Ils ont choisi de kidnapper cet homme que parce qu’il a l’image d’un magnat de la finance richissime. Alors pourquoi ne pourrait-il pas lâcher quelques millions pour qu’eux aussi puissent bénéficier du charme pas si discret de la bourgeoisie ?
Si leur acte crapuleux n’est pas excusable, leur convoitise, elle, est compréhensible, car foncièrement humaine. Ils sont un peu comme les chômeurs de La raison du plus faible, qui avaient décidé de restaurer une forme de justice sociale en braquant l’entrepreneur qui les avait licenciés.
La police fait aussi ce qu’elle a à faire : négocier avec les truands sans risquer la vie de l’otage, mais sans répondre à leurs exigences non plus, afin de ne pas encourager ce genre d’initiative criminelle et surtout de gagner du temps pour repérer les malfaiteurs et les stopper. Les forces de l’ordre ne font que leur travail, sans tenir compte de toute l’agitation qui tourne autour de cet enlèvement.
En revanche, l’attitude de l’entourage de l’homme d’affaires est plus complexe, ambigüe. Les intérêts sont plus troubles.
Il y a déjà les collaborateurs de Graf/Empain, dont le premier réflexe est de protéger les intérêts du groupe industriel. Hors de question de payer la rançon, à moins de faire signer à la famille une reconnaissance de dette… Et encore moins de cautionner les frasques de ce PDG trop « bling-bling », dont les dépenses exorbitantes font grincer les dents des syndicats et des ouvriers de la firme, aux faibles salaires. Mais cette distance est-elle motivée par les seuls principes de moralité et de raison ? A quel jeu joue le n°2 de l’entreprise ? Ne serait-ce pas là l’occasion de prendre le contrôle de l’entreprise ?
Les politiciens lâchent cet « ami » devenu encombrant. Les rares vrais amis, prennent aussi du recul, effrayés d’être mêlés malgré eux à des dérives dont ils n’étaient même pas au courant. Quant à la famille, elle est partagée entre l’envie de satisfaire au plus vite les exigences des ravisseurs pour récupérer un fils, un mari, un père, et la colère de voir ainsi étalé au grand jour l’attitude irresponsable, détestable de celui qui était, avant tout cela, un père de famille modèle. Tant que Graf est retenu prisonnier, la famille reste soudée, agissant uniquement dans le but de le faire revenir au plus vite auprès d’eux. Mais à son retour, les marques des épreuves traversées et des révélations scandaleuses étalées jour après jour dans la presse people, font éclater la belle unité familiale.
De victime, Graf/Empain devient un accusé à qui on demande des comptes. On le presse de s’expliquer sur son comportement inconséquent, de s’excuser pour tout le mal qu’il a occasionné, de prendre du recul par rapport à ses activités… On l’accuse même d’avoir organisé son propre enlèvement pour faire payer ses dettes par son entreprise… Il est rapidement devenu le symbole d’un capitalisme vulgaire et irresponsable, un mouton noir qui a bien mérité tous ses malheurs.
En plus de cette hostilité manifeste, il n’est pas vraiment libre de ses mouvements. Ses proches refusent de le laisser sortir seul du domicile de peur qu’il ne se refasse kidnapper. On lui interdit de parler à la presse, on lui impose de fastidieux interrogatoires chez les policiers ou le juge d’instruction. Bref, une captivité est remplacée par une autre, plus pernicieuse, plus douloureuse encore…
Cette histoire psychologiquement complexe aux allures de drame familial et de polar, de surcroît ancrée dans un contexte social fort, est du pain béni pour Lucas Belvaux. Elle lui permet d’aborder tous ses thèmes de prédilection : le malaise au sein du couple, les secrets, les épreuves familiales, la lutte des classes, la violence de la société, des sujets déjà abordés dans ses films précédents, La raison du plus faible, donc, mais aussi sa trilogie Un couple épatant/ Cavale/ Après la vie. Et surtout, elle lui permet de remettre encore et toujours l’être humain au cœur de l’œuvre. Peu importe que Graf ait pu être un type hautain, un flambeur irrespectueux de ceux qui gagnent moins bien leur vie que lui, un mari infidèle, un mauvais père, c’est avant tout un homme dont la souffrance et la détresse ne peuvent que nous toucher.
Evidemment, cela serait impossible sans la participation des acteurs, qui se mettent magnifiquement au service de leurs personnages. Acteur lui-même, Belvaux sait mettre en confiance ses interprètes, qui livrent tous une prestation très convaincante. On pense à André Marcon, très bon en dirigeant froid et égoïste, à Anne Consigny, parfaite en épouse trompée, humiliée, mais digne dans l’épreuve, à Michel Volta en flic tenace, à Gérard Meylan en truand respectueux. Et bien sûr à Yvan Attal, impeccable, qui prête au personnage principal charisme et profondeur psychologique.
Rapt est une œuvre qui tient en haleine, bouleverse et fait réfléchir sur notre société et nos propres comportements. La grande force du film de Lucas Belvaux, c’est d’arriver à nous faire partager tour à tour le point de vue des proches de la victime, puis du personnage principal lui-même. Ainsi, on se retrouve à la fois juge, témoin et accusé et on partage l’angoisse, la détresse, la peine et la douleur des différents protagonistes. C’est intelligent, précis, efficace. Comme quoi, il n’est pas utile de recourir au spectaculaire et à des tonnes d’effets de mise en scène pour réussir un thriller psychologique efficace…
Un film… captivant.
Note :