Ecoutez les discours, les interviews. L'argument se répète. Mois après mois, les représentants de Sarkofrance adoptent tous les mêmes tics de langage, la même technique d'argumentation. Chaque nouvelle "réflexion" d'un ministre, ou de leur Monarque, repose sur quelques cas isolés. Pour contrer les critiques et masquer la réalité, chacun se réfugie dans l'anecdote, et évite soigneusement de confronter ses idées, propositions et annonces à la réalité statistique du pays.
La politique de l'anecdote
Brice Hortefeux a fourni un bel exemple. Mardi, à l'Assemblée Nationale, le ministre de l'intérieur a expliqué aux députés qu'il "réfléchissait" avec Roselyne Bachelot à faire payer aux clubs sportifs le coût réel des déploiements de forces de l'ordre dans et aux abords des stades de football. Le président des Girondins de Bordeaux lui a répondu, sur France Info le lendemain : les clubs payent déjà le "dispositif standard", et seule une poignée de matches particulièrement chaud nécessitent chaque saison un renfort inhabituel. Une fois de plus, Hortefeux a perdu une occasion de se taire.
Mardi, Nicolas Sarkozy s'est "lourdement" déplacé en banlieue parisienne. Après les bandes, les récidivistes, les mineurs délinquants, les enfants violents en maternelle, les racailles "cagoulées", les délinquants sexuels qu'il faudrait castrer, les fous qu'il faut enfermer, le couvre-feu pour les mineurs, Nicolas Sarkozy a trouvé une nouvelle anecdote pour servir son propos : les caïds qu'il attaquera par le fisc. Plus personne n'oublie désormais que Nicolas Sarkozy est en charge de la sécurité des Français depuis ... 2002. Sept ans d'échec ? Les violences aux personnes ne cessent de progresser depuis que Nicolas Sarkozy a pris le sujet de l'insécurité à bras le corps: moins de 350 000 actes en juillet 2003, 454 318 en juillet 2009. Pire, le budget du ministère de l'intérieur pour 2010 prévoit une baisse de 2 744 postes "équivalents temps plein" parmi les forces de police et de gendarmerie. Celui de la justice diminuera de 911 millions d'euros, principalement sur l'administration pénitentiaire. Qui a dit que la sécurité était une priorité ?
Xénophobie d'Etat
Contesté comme jamais, Eric Besson s'est également réfugié dans l'anecdote : il a voulu susciter une polémique sur les "mariages gris", ces unions où l'un des mariés (souvent un homme d'après le ministre) abuse de son conjoint(e). Interrogé avec insistance par les journalistes de France Inter mercredi matin sur le nombre de cas concernés, le ministre finissait par répondre qu'il ne sait pas. Cette affaire n'est qu'un symptôme du fantasme sécuritaire d’un ministre qui veut débusquer le clandestin sournois jusque dans l'intimité conjugale...
Mercredi soir, Eric Besson a tenu sa première réunion publique sur l’identité nationale. Un rassemblement d’élus, militants et sympathisants pour la plupart UMP, dans le Loiret. 250 rencontres sont prévues d’ici janvier. Le ministre se félicite que, sur 25 millions de ménages français, 35 000 contributions sur l'identité nationale aient été "postées" sur le site créé à cet effet. Les sondages révèlent que les Français n'expriment aucun doute sur leur sentiment patriotique. Les réticences naissent quand l'Etat déstabilise les convictions de chacun, à force de bavures policières, d'insécurité sociale et d'erreurs judiciaires. Quand 5 400 immigrés sans papier se mettent en grève, soutenus par la totalité des syndicats, Eric Besson explique qu'il fera fermer les employeurs concernés (une mesure impraticable), et il publie une circulaire de régularisation taillée sur mesure pour en exclure le plus grand nombre : il faudra justifier de 5 ans de travail en France, d'une ancienneté d'au moins 12 mois dans l'entreprise, et d'une promesse d'embauche supérieure à 12 mois d'emploi pour bénéficier de la clémence soudaine et contrainte des services de l'identité nationale. 5 400 sans-papier menacent-ils l'emploi des Français ? Eric Besson est coincé dans une posture idéologique stupide dont il ne sait se sortir. En quelques mois, il est devenu le symbole de la droite recomplexée.
Les canailles de la République
Les ficelle de l'argumentation sarkozyenne sont donc bien grosses. En vue des élections régionalies, Sarkozy joue de trois sujets totalement idéologiques - fiscalité, insécurité, et immigration – pour solidifier son électorat en vue du prochain scrutin. L’effort est vain, tant la réalité s’obstine à se rappeler au bon souvenir des Français. Lundi, Nicolas Sarkozy recevait ainsi 1 700 cadres de pôle emploi. Loin de reconnaître que la fusion des ASSEDIC et de l'ANPE est un échec, le Monarque a exprimé sa reconnaissance à l'assistance, fustigé les critiques, et moqué les "créatifs" publicitaires qui lui proposaient des dénominations farfelues pour pôle emploi. Une nouvelle anecdote pour masquer la réalité. On se souvient que le logo de pôle emploi a quand même coûté 500 000 euros... La réalité est têtue. Pôle emploi est engorgé, et le chômage s'envole. En une grosse heure de discours, Nicolas Sarkozy n'a rien proposé. La semaine passée, Laurent Wauquiez, le secrétaire d’Etat fanfaronnait la semaine passée sur l’excellence de ses résultats : « grâce à lui », la France serait à côté de la catastrophe, plus de 1,5 millions personnes seraient « concernées » par les mesures gouvernementales de soutien aux chômeurs, etc etc. Il devrait bien vite déchanter.
Le porte-parole du Parti Socialiste en a choqué quelques-uns en traitant Christian Charpy, le directeur de pôle emploi, de "canaille". Ce dernier publiait son traditionnel communiqué des chiffres mensuels du chômage. "La France compte 2,6 millions de chômeurs" commentaient allègrement et sans discernement la plupart des médias français. Benoit Hamon tient un argument: les statistiques commentées sont truffées de retraitements divers. La réalité est bien différente : 2,6 millions n'est que le nombre de sans-emplois absolus, la fameuse "catégorie A". En fait, pôle emploi recense 4,629 millions d'inscrits. Et on pourrait s'attarder sur d'autres statistiques : en octobre, pôle emploi a collecté 30 000 offres d'emploi de moins qu'en septembre, soit 273 000. Un chiffre ridiculement faible par rapport au nombre de demandeurs. Sans compter que près de la moitié de ces offres sont des emplois temporaires de 1 à 6 mois.
Vendredi, on pouvait aussi s'inquiéter des dérives fiscales et sociales de ... l'UMP: dans les Hauts-de-Seine, les cantines scolaires devraient augmenter leurs tarifs de 13% cette année. D'autres pointent le niveau d'endettement record de municipalités gérées depuis des lustres par l'UMP : les trois villes les plus endettées, par habitant, de France sont toutes les trois à droite : Levallois-Perret (9 030 euros par habitant), Cannes (4 618 euros) et Fréjus (2 866 euros). La campagne des élections régionales commence mal.
Président insécuritaire
L’Elysée a surtout quelques scandales à se faire pardonner. L’affaire de Tarnac rebondit, avec de nouvelles révélations sur des manipulations policières : un témoignage a été obtenu sous la contrainte, d’après l’intéressé, et puis antidaté. Depuis un an déjà, la Sarkofrance tente de divertir l'opinion avec un soit-disant complot terroriste de l'ultra-gauche dont le sabotage de caténaires sur une ligne TGV en octobre 2008 serait la plus forte illustration. Depuis, les avocats des mis en examen ont repris du poil de la bête, et dénoncé les incohérences des constatations policières.
Autre scandale d’Etat, la commission des lois de l’Assemblée nationale a refusé la tenue d’enquête parlementaire sur les sondages de l’Elysée. La présidence a financé, pour quelques 3 millions d’euros en 2008, 190 sondages dont la plupart ont été ensuite publiés par la presse sans que l’identité du commanditaire initial, Nicolas Sarkozy, fut portée à la connaissance de leurs lecteurs. Pire, le Canard Enchaîné a rappelé cette semaine que certains sondages auraient dû être réglés par l’UMP et non le contribuable. La commission des lois, à majorité UMP, a jugé que le parlement ne pouvait enquêter sur les pratiques du pouvoir exécutif. Qu’à cela ne tienne, le groupe socialiste revient à la charge, en demandant une enquête sur l’ensemble des frais d’enquêtes d’opinions du gouvernement et de la présidence de la République. Cette fois-ci, les proches du président auront du mal à faire valoir une atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
On pourrait enfin s'arrêter sur ce surprenant revirement de certains députés UMP: alors qu'un consensus s'était formé, de gauche à droite, pour instaurer un contrôle parlementaire sur la création de tout fichier relatif à la sécurité publique, le gouvernement avait décidé de jouer solo, en octobre, en créant un dimanche deux nouveaux fichiers de police. Et mardi dernier, la commission des lois de l'Assemblée Nationale a décidé de faciliter encore un peu plus la création de fichiers gouvernementaux quels qu'ils soient. On entend déjà Nicolas Sarkozy nous expliquer que le travailliste Gordon Brown fait bien pire au Royaume Uni, où la police est désormais suspectée de placer en garde à vue pour la seule fin de compléter ses fichiers ADN.
Les anecdotes s'oublient, la réalité demeure.
Ami sarkozyste, où es-tu ?