EPISODE 21 : Où l'on assiste à un début de procès qui s'enlise dans des considérations oiseuses...
Palais impérial du Caribou Maléfique, Maître du centre de la Terre.
Le tribunal s'est installé. Le Maléfique au milieu, la future Impératrice à sa droite, Marsupilania à sa gauche. Le public, autrement dit nos héros et beaucoup d'habitants désoeuvrés du centre de la terre devant eux. Les accusés : Gudule, le Caribou fou, le Servile Séide à gauche, dans un box. Les avocats de la défense (La Femme Maigre et le Masque de fer) près d'eux ; l'avocat général (le caribou magique) à droite, assis devant un bureau surélevé en face des accusés. Jo la Fine, promue finalement avocat de la partie civile (on se demande bien qui est cette partie civile, mais ce n'est pas grave) à côté de l'avocat général. Rumeurs et agitation dans la salle ; le monstre décacéphale braille de ses dix têtes et agite ses dix bras à l'instar de moulins à vent. Le public s'en fout comme de sa première chemise. Au premier rang de ce public légèrement indiscipliné, dans l'ordre, de gauche à droite : Le Prince Charmant Logarithme, La Belle Monogramme Princesse de conte de fée, Myxomatose, à qui la Princesse donne de sournois coups de pied dans les jarrets ce qui lui vaut en retour d'assez douloureux pinçons.
« Silence ! » clama tout à coup le caribou maléfique. Et, par extraordinaire, le silence s'installa dans la salle. On entendit seulement la voix amère du monstre décacéphale constatant avec une certaine tristesse et une lucidité certaine qu'il ne servait à rien. « Inutile de revenir sur la vie des accusés, continua le caribou maléfique, on la connaît. Maître, quels sont les chefs d'accusation ? » Le caribou magique se leva. « Incompétence rédhibitoire, sottise congénitale, folie notoire, débilité précoce, incapacité générale. » « Ca fait beaucoup, constata le caribou Maléfique. Et c'est un peu vague. » « En d'autres termes, votre Excellence, reprit le caribou magique, ils sont accusés d'utiliser la sorcellerie à des fins très peu humanitaires. » « Voilà qui est mieux », approuva l'Excellence.
Le Masque de fer se leva à son tour : « Et c'est d'autant mieux que la folie ne peut en aucun cas être passible d'un jugement de cour, votre Excellence », dit-il. Le maléfique approuva. « Juste. Rayez la folie. » La Femme Maigre se dressa aussi : « La sottise non plus, votre Excellence, dit-elle. Sinon, Maître Jo la Fine et moi-même aurions dû passer depuis longtemps en jugement. Je demande également l'annulation de ce chef d'accusation. » « Je ne pense pas que vous soyez sottes, dit le caribou maléfique. Opportunistes et prêtes à tout pour faire du fric serait une meilleure définition de vos capacités essentielles. Néanmoins, je veux bien aussi abandonner la sottise. Il reste donc : incompétence, débilité et incapacité. Plus, bien sûr, l'utilisation inconsidérée de la sorcellerie. » « La débilité n'est pas non plus un élément susceptible d'être envoyé devant les tribunaux, intervint le Masque de fer. Et Gudule n'est pas débile : juste très limitée intellectuellement. D'où son incapacité à faire correctement ce qu'on lui demande. » « A force de retirer les chefs d'accusation, il ne restera rien », protesta la future Impératrice. « C'est juste, ma mie, fit le Maléfique. Mais la remarque de Maître Masque de fer est exacte. Conservons seulement incompétence et le reste. La cour n'ayant aucune envie de se taper des témoins à charge et à décharge qui raconteront n'importe quoi, nous allons passer tout de suite au réquisitoire et aux plaidoiries. Maître Magique, vous avez la parole. »
Le caribou Magique se leva de nouveau : « Excellence Caribou Maléfique, Votre altesse future Impératrice, Madame L'assesseur, Maître Masque de fer, Maître Femme Maigre, Maître Jo la Fine, accusés, chers amis : il m'est bien difficile à moi, caribou magique, de me lancer dans un discours à but punitif dans la mesure où l'un des accusés est mon frère jumeau... » « C'est vrai, c'est vrai... » dit le public. Une rumeur circula : « Changez l'avocat général ! » Le Maléfique donna un coup de patte sur la table. « Silence ! On garde le ministère public tel qu'il est ! Continuez, maître. » « ... Et je sais qu'il possède quelques circonstances atténuantes, eu égard à ce qui a eu lieu lors de notre naissance... » La future Impératrice se pencha, l'œil bienveillant. « Maître Magique, pouvez-vous préciser à la cour la nature exacte de ces problèmes, afin que notre jugement soit le plus impartial possible ? » « Impartial, mon cul ! » grogna le caribou fou, appuyé contre le dossier de son banc. « Je m'insurge contre de telles manœuvres ! cria Gudule en se levant. L'avocat général est un pourri et un vendu qui sous couvert de réquisitoire va plaider pour son frère et me faire passer pour la responsable de tout ça ! Je ne veux pas manger de ce pin-là ! » « Pain, espèce d'idiote ! » rectifia le caribou fou en lui flanquant une gifle. « Oh mon maître, tu m'aimes encore, tu m'as frappée ! » roucoula Gudule, la main sur sa joue.
« Ca suffit ! tonna encore le Maléfique. Les accusés n'ont pas droit à la parole ! Maître magique, faites vite, s'il vous plait ! » « Je suis né le premier, expliqua le caribou magique. Puis mon frère s'est pointé mais le cordon ombilical s'est enroulé autour de son cou au moment de l'expulsion ; Il n'a pas été coupé assez tôt. » « Je comprends, fit Marsupilania. Le cerveau n'a plus été irrigué pendant un laps de temps... » « Exactement, approuva le caribou magique. Mon frère est donc devenu ce qu'il est aujourd'hui... » La Belle Monogramme se dressa et leva la main. « La parole est à la Princesse de conte de fée, dit le Maléfique. Qu'a-t-elle à dire, d'intelligent si possible ? » et Myxomatose ricana bassement. « Simplement que le caribou magique est en train de se tromper de rôle, il n'est point là pour plaider, mais pour réquisitionner », affirma la Belle Monogramme et toute la salle fit chorus. « Certes, certes », admit le caribou maléfique.
« Ce n'était qu'une petite digression, dit le caribou magique en lançant un coup d'œil furibard à la Princesse de conte de fée, laquelle se rassit, très contente d'elle-même. Car cet incident, s'il explique la folie de mon frère, n'excuse pas son allégeance aux forces du mal, et encore moins l'incompétence de Gudule et la servilité du Séide. »
(A suivre)
(Voilà un procès qui risque de traîner en longueur si tout le monde se met à blablater pour rien. Résumons : que va demander l'avocat général comme punition ? Que va demander la partie civile ? Les plaidoiries seront-elles à la hauteur de l'événement ?... Nouvelle suspension de séance.)