Les Éditions Léo Scheer lancent une nouvelle collection : Écrivains d'aujourd'hui, destinée à dresser un état des lieux de la littérature française contemporaine.
« La littérature française est vivante. De jeunes auteurs s'y révèlent, avec une œuvre dont les contours, l'univers, le style s'affirment.
« Écrivains d'aujourd'hui » propose de les découvrir dans leur diversité, ou d'apprendre à les percevoir autrement. »
A ce jour, deux volumes sont déjà parus : Frédéric Beigbeder et Emmanuel Carrère. Même si l'on ne peux pas dire d'eux que ce sont de « jeunes auteurs » (leurs premiers romans respectifs sont publiés en 1990 et 1983), l'œuvre de ces derniers est suffisamment récente et novatrice pour les inscrire tous deux dans cette génération d'écrivains qui construisent actuellement le paysage littéraire français.
On l'aura compris, l'enjeu de cette collection n'est pas de faire découvrir des auteurs en train de percer, mais ceux dont l'œuvre est assez consistante pour pouvoir être jugée à l'aune de son apport à la littérature française. Cet exercice s'inscrit donc dans une perspective de recul et d'analyse nécessaire à toute synthèse sur ce qu'est en France et aujourd'hui la littérature. Vaste question tant il est vrai qu'elle nécessite et la culture et la sensibilité (sans parler de perspicacité) pour saisir le champ littéraire dans ce qu'il a de mouvant et de nébuleux. La postérité jugera de la pertinence de la réponse.
Les volumes de cette collection sont réalisés par la rédaction de La Revue Littéraire et comprennent chacun un grand entretien avec l'auteur, des notes de lecture sur ses livres, une sélection d'extraits et de citations ainsi qu'une chronologie retraçant le parcours de l'auteur. Le tout pour un prix unitaire de 10 € et dans un format semi-poche plutôt pratique et élégant.
Frédéric Beigbeder
Autant le dire d'entrée de jeu, le grand entretien que Frédéric Beigbeder consacre à Angie David (et qui s'étale quand même sur 76 pages) est l'un des plus intéressants et des plus fouillés que j'ai été amené à lire sur cet auteur. Délaissant pour l'occasion son personnage public de pitre déjanté, l'auteur de 99 francs se révèle d'une grande intelligence et culture littéraire et revient avec lucidité sur l'ensemble de sa bibliographie, évoque ses références littéraires, analyse son style, son œuvre et ses lignes de force : à n'en pas douter, il s'agit déjà d'une référence sur cet auteur.
Emmanuel Carrère
La folie traverse l'œuvre d'Emmanuel Carrère : de L'amie du jaguar à Un roman russe, en passant par La moustache ou L'adversaire, la raison est toujours prête à vaciller sous les pressions du subconscient et des névroses de la psyché humaine. La biographie romancée de Philip K. Dick, Je suis vivant et vous êtes morts, est ainsi révélatrice des affinités qu'Emmanuel Carrère entretient avec le maître paranoïaque de la science-fiction américaine, et plus largement avec la SF et le fantastique. Chez cet auteur, la réalité dérape sans crier gare, semant la rationalité dans une échappée belle vers l'incompréhensible méandre de l'esprit humain. Fascinant et déroutant à la fois, Emmanuel Carrère a su bâtir un univers personnel que ce très beau livre invite à (re)découvrir séance tenante.
Leur rapport à l'autofiction
Ces deux auteurs, au cours de leurs entretiens, ont été amenés à évoquer leur rapport à l'autofiction, puisque Frédéric Beigbeder puise dans son expérience pour nourrir la matière romanesque des ses personnages, tandis qu'Emmanuel Carrère a écrit avec Un roman russe son premier texte réellement autobiographique, et il est intéressant de noter que tous deux lui préfèrent respectivement le roman autobiographique et l'autobiographie.
Pour preuve : « J'ai une passion pour l'autodénigrement. Je trouve que c'est très élégant, agréable. Mon problème justement avec l'autofiction, c'est le nombrilisme [...]. C'est très important qu'il y ait de l'autodérision quand on ose parler de soi. Sinon, ça devient insupportable de prétention. » F. B.
Et chez Emmanuel Carrère, même s'il se refuse à rouvrir le débat, on ressent une certaine lassitude devant ce genre qui est bien plus restreint qu'on ne le pense, comme il le fait justement remarquer, et qui doit plus son succès à l'effet d'annonce qu'a produit l'invention du terme par Serge Doubrovsky qu'à une réelle recherche littéraire.
Peut-être un signe que l'autofiction a plus régné qu'elle ne règnera...