Pousser le drakkar jusqu’à la mer, donner quelques vigoureux coups de rames pour traverser la Baltique et on passe prestement de la Suède à la Finlande comme l’on fait de nombreux envahisseurs au cours des âges. Aujourd’hui encore la population finlandaise comporte une forte proportion de suédophones issus de ces migrations.
C’est un grand plaisir pour moi de mettre le pied sur cette terre où j’ai eu le privilège de faire une longue excursion en 2007 pour visiter dame nature dans sa parure d’or et de pourpre vers les confins du Grand Nord, là-bas où vivent encore des Lapons, des Sames c’est moins péjoratifs, et des rennes. Je voudrais profiter de cette occasion pour faire un petit coucou à l’ami Raimo que j’ai rencontré à Kuopio et avec qui j’ai voyagé au-delà du cercle polaire sous la lueur magique d’une aurore boréale. Je lui dois les rudiments de culture finlandaise que j’étale ci-dessous.
Nous ferons notre voyage avec l’œuvre de Juhani Aho qui est l’un des plus grands romanciers finnois et, de plus, il est originaire du Savo, le pays de Raimo, dont Kuopio est la capitale et notre ville jumelle. Nous rencontrons les grands précurseurs que son Aleksis Kivi, le père du roman finlandais, et Frans Emil Sillanpää le Prix Nobel de littérature local. Nous réserverons une petite place pour Johanna Sinisalo, une jeune femme venue d’au-delà du cercle polaire qui nous raconte une histoire bien étrange, plutôt drôle et pleine de tendresse.
L’écume des rapides
Juhani Aho (1861 – 1921)
Par un beau jour de septembre dernier dans le bus qui nous conduisait du Savo, région de naissance d’Aho, pour un périple en Laponie, mon ami Raimo de Kuopio, ville jumelée avec la mienne, m’a copié sur une page arrachée au quotidien local quelques repères sur la littérature finlandaise. Elias Lönnrot (1802-1884) qui a rassemblé les récits et légendes qui constituent le Kalevala peut être considéré comme le père de la culture finnoise, Alexis Kiwi (1834-1872) peut lui être considéré comme le père de la littérature finlandaise dont les principaux auteurs sont le grand poète Eino Leino (1878-1926), les romanciers finnois Juhani Aho (1861-1921) et Väinö Linna (1920-1992) et le romancier suédophone Johan Ludvig Runeberg (1804-1877). Ajoutons pour être complet, Frans Emil Sillanpää (1888-1964) le prix Nobel finlandais. C’est donc avec une réelle émotion que j’ai découvert dans une vente de livres d’occasion, « L’écume des rapides » un des livres écrits, en 1911, par Juhani Aho.
Ce livre raconte l’histoire de Marja jeune orpheline carélienne russe mariée à Juha, Finlandais (Suédois à l’époque du roman) beaucoup plus âgé qu’elle, dont elle s’est rapidement lassée. Le passage d’un jeune commerçant russe est l’occasion de quitter ce vieux mari et sa mère acariâtre qui n’a jamais accepté cette mésalliance. Mais, en quittant son mari, Marja ne va pas vraiment trouver le paradis mais comment peut-elle sortir de la situation qu’elle a créée ? Et à quel prix ?
Ce livre, planté dans le décor sauvage de la Finlande de la fin du XVII° siècle ou l’immensité des paysages n’a d’égal que l’infinie solitude, est construit à l’image d’une tragédie grecque, la passion et la raison s’affrontent en permanence mais comme chez Racine l’homme, surtout la femme en l’occurrence, est tel qu’il est et non tel qu’il devrait être. Dans la Finlande piétiste du début du siècle dernier, Aho développe à travers une alternance de dialogues et d’introspections une réflexion sur le péché, la culpabilité et la punition qui doit laver la faute.
C’est aussi un regard sans concession sur la société et notamment sur la condition des femmes dans cette Finlande du XVII° siècle très rurale, très religieuse, à l’écart des grandes voies de civilisations et qui nourrit une haine féroce à l’encontre de ses voisins russes qui lui infligeront encore bien des misères dont le souvenir est encore très vivace aujourd’hui.
Les sept frères de Aleksis Kivi (1834-1872)
Kivi est, comme nous l’avons dit ci-dessus, certainement le fondateur du roman finlandais et « Les sept frères » est, sans aucun doute possible, aujourd’hui encore le roman finlandais le plus célèbre. Dans ce roman terrien, Kivi raconte l’histoire d’une fratrie qui vit dans une ferme isolée, un vaste domaine fondé par un habile paysan qui sut profiter du « Grand Remembrement » pour constituer ce vaste domaine. Malheureusement, les sept frères sont comme leur père plus des chasseurs que des agriculteurs et quand le père meurt avec l’ours qu’il vient de tuer, ils laissent le domaine à l’abandon pour s’adonner aux plaisirs de la chasse. Chacun suit alors sa destinée dans cette saga familiale qui concentre plusieurs genres littéraires et forme un vaste roman naturaliste, épique et picaresque qui reste encore un chef-d’œuvre de la littérature finlandaise. C’est aussi une bonne image de cette Finlande aculée au bout de l’Europe entre des voisins pas forcément compréhensifs et délicats où l’isolement est toujours un problème et la nature pas toujours hospitalière et généreuse.
Une brève destinée de Frans Emil Sillanpää (1888-1964)
Silja, jeune orpheline issue d’une pauvre famille de paysans, elles étaient rarement riches ces familles dans la Finlande du début du XX° siècle, est placée dans une maison aisée où elle fait la connaissance d’un brave garçon qu’elle épouse et avec lequel elle connaît une petite tranche de vie heureuse. Mais, le tourbillon de la guerre civile de 1918, entre les Rouges et les Blancs, la privent bien vite de son mari qu’elle ne pourra même pas réconforter quand elle apprendra ses graves blessures car la tuberculose ne lui en laissera pas le temps nécessaire. Un roman noir, triste, réaliste, comme on en trouve beaucoup dans les pays nordiques, un livre qui évoque le chef-d’œuvre de Sillanpää « Sainte misère ».
Frans Emil Sillanpää est le seul Finlandais, à ce jour, honoré par le Prix Nobel de littérature qui lui fut décerné en 1939.
Jamais avant le coucher du soleil de Johanna Sinisalo (1958 - ….)
Au retour d’une virée en Laponie, j’ai trouvé en furetant dans les rayons de la médiathèque locale, cet ouvrage de Johanna Sinisalo qui, comme le signale la quatrième de couverture, est née à Sodankylä petite bourgade de Laponie que j’avais visitée au cours de ce voyage.
Encore sous le charme de cette contrée où la magie est encore palpable le soir à la lumière étrange et surréaliste d’une aurore boréale, après avoir mangé le saumon au feu de bois avec les Lapons, ou plutôt les Sames car Lapon est péjoratif en Finlande, j’étais dans des dispositions idéales pour me jeter dans ce livre étrange qui combine savamment les légendes séculaires et la modernité la plus actuelle, avec excitation et curiosité, car enfin j’allais savoir si ces trolls dont on parle tant dans la culture finlandaise, ont bien existé !
Ange, photographe de mode un peu blasé qui traîne ses bottes dans la ville triste et froide, rencontre une bande de jeunes qui maltraite un drôle d‘animal que notre brave photographe ramène à la maison. Alors commence des recherches discrètes pour identifier cet être étrange sans éveiller l’attention de l’entourage. Coupures de journaux et documents divers insérés entre les divers avatars de la relation qui se noue entre Ange et son étrange pensionnaire, laissent un doute palpable sur la plausibilité de cette histoire issue directement des légendes lapones.
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