Je n'aime pas les débats abstraits. Disserter sur les différences hommes/femmes m'a toujours paru fumeux. Disserter sur l'identité française l'est tout autant. L'exercice devrait être réservé aux esprits les plus cultivés et subtils - Fernand Braudel en histoire par exemple.
Au lieu de quoi, le débat auquel nous sommes conviés est lancé par Eric Besson - l'homme qui traitait Sarkozy de "néoconservateur américain à passeport français" (le pamphlet anti-Sarkozy de Besson est toujours téléchargeable sur le site du PS, le document s'appelle encore ebessonweb.pdf...)
C'était en 2007. Retour en 2009. Les services administratifs ont pondu un guide qui est censé inciter à la réflexion. C'est à vomir.
Que dire par exemple de cette question :
"Quels sont les différents types de communautarisme : ethnique, racial, religieux, culturel, social ?"
Quelle belle idée d'inciter nos chères têtes blondes à raisonner en termes de race. Voilà qui est moderne comme démarche.
Ou de celle là :
"Pourquoi la question de l’identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ?"
En 1940 on aurait visé les intellectuels juifs ou dégénérés, encore les ravages du politiquement correct ? Quelle belle idée de la part de responsables républicains de pointer ainsi l'irresponsabilité des penseurs. Quel dommage que ces intellectuels, sociologues ou historiens n'aient pas la précision de pensée d'un Raoult ou d'un Lefevre, ces exemples de clarté nationale.
Dans l'ensemble ces questions sont un véritable bric-à-brac ni fait ni fait à faire, dont on a peine à croire qu'elles ont été validées au niveau gouvernemental.
Mais le pire ce sont les réponses suggérées.
Voilà la première proposition d'action soumise au débat : "Un nouveau contrat avec la République pour les ressortissants étrangers souhaitant entrer et séjourner sur notre territoire".
Pas de gants pour suggérer que l'identité nationale est menacée par les étrangers qui viennent fouler au pied notre beau pays. Suivent des tas d'idées d'obligations à imposer aux aspirants français pour qu'ils ne viennent pas troubler notre belle identité nationale.
Deuxième grande proposition pour réaffirmer l'identité nationale : "Donner à tous les enfants de France l’occasion de chanter au moins une fois par an la Marseillaise". On hésite entre le dérisoire et le pitoyable en lisant cela.
La gauche a sauté à pieds joints dans le piège en commençant à dénoncer un mauvais débat sur l'immigration. C'est vrai, mais ce n'est pas que cela. C'est Bernard-Henri Lévy qui pointe le vrai débat : "tandis que tout ce petit monde amuse la galerie avec son débat lamentable [...] il y en a une, d’identité, qui est, elle, en vrai péril [...] c’est l’identité européenne."
BHL se plaint notamment de l'absence de débat autour de la nomination de Van Rompuy et d'Ashton (pour ma part je me contrefous de la nomination de deux "grands européens" de plus ; ils sont nommés en raison d'un système indigne qui invalide ab initio toute la légitimité dont ils pourraient se croire investis).
* BHL se trompe mais le vrai débat est là : ce qui tue l'identité française aujourd'hui, c'est la construction européenne, pas les quelques immigrés qui s'installeraient en France avec l'idée de ne jamais s'y intégrer.
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Cernons d'abord de quelle identité on parle. Par mes origines familiales je suis français, breton, protestant, catholique, suisse, écossais, montpellierain et languedocien, parisien, hétéro, quadra, européen... Je comprends parfaitement ceux qui expliquent qu'on peut être européen et français et passionné de football et buveur de bière, tant qu'on reste essentiellement dans le registre symbolique et dans des identités choisies.
Jusqu'ici cependant une seule de mes identités me confère juridiquement des droits et des devoirs.
C'est parce que je suis citoyen français que je paie des impôts et qu'en contrepartie j'ai le droit de choisir celui qui va en fixer le montant et leur utilisation. Je peux décider demain de ne plus me sentir breton, ça ne regarde que moi. J'aurai plus de mal à rejeter ma "qualité" de français (le débat sur l'identité nationale a ceci de pervers qu'il ne porte que peu sur cet aspect contingent du droit : on est français parce que c'est d'abord une qualité juridique, imméritée dans presque tous les cas. Qu'un étudiant en philo puisse prononcer cette énormité "Je suis Arabe, si j’étais Français, "je dirais je suis Français" sans complexe", comme si arabe était une nationalité ou français un groupe ethnique (cf. le numéro de Libé des philosophes) est un symptôme navrant.
Force m'est de constater cependant que cette qualité de citoyen français me donne de moins en moins de droits. Et que l'aspect juridique qui fondait la notion de français, aspect qui a le double avantage d'être absolu (indiscutable, hors quelques cas épineux) et contingent (totalement délié de toute caractéristique ethnique ou autre, simplement attaché à un territoire où l'on parle français), tend à se vide de tout contenu.
En effet :
1. C'est la Banque Centrale européenne qui décide du taux d'intérêt. Jusqu'ici elle a montré une préférence marquée pour la lutte contre l'inflation au détriment de la lutte contre le chômage.
2. C'est la Commission européenne qui insiste pour que le gouvernement français comprime ses dépenses alors que la crise n'est pas finie (Paul Krugman, il y a trois jours, incitait à ne pas croire trop vite que nous sommes sortis d'affaire. Ce n'est pas le moment de nous serrer la ceinture).
3. La défense européenne est explicitement subordonnée à la politique de l'OTAN aux termes de l'article42 § 2 du Traité de Lisbonne (La politique de l'Union au sens de la présente section n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. )
4. L'Union européenne à terme décidera seule de la politique d'immigration puisqu'elle entend
déjà distribuer des cartes bleues valant permis de séjour sur tout sn territoire.
5. L'Union européenne a confié à une agence encore trop peu connue le soin d'inciter les pays africains à dissuader leurs
ressortissants de venir en Europe, avec tout ce que cela implique de totalement irrespectueux des droits de l'homme.
6. Dans tout ce processus le parlement n'a quasiment aucun pouvoir et il est élu selon des règles de représentativité indignes.
7. La jurisprudence toujours très libérale de la Cour de Justice européenne assure qu'effectivement l'Europe sociale n'aura pas lieu et que les services publics auxquels les français sont attachés disparaîtront peu à peu.
8. la gestion communautaire du commerce extérieur assure également que jamais nous ne lèverons le petit doigt contre la sous-évaluation du yuan chinois et du dollar américain, alors qu'une taxe de libre-échange ferait beaucoup pour renouer avec la croissance.
Je m'arrête là, il y aurait des pages à écrire, qui toutes aboutiraient à une même conclusion : l'identité nationale se vide de tout contenu parce que la réalité de l'action et des décisions
politiques stratégiques a été capturée par l'Union européenne. Toutes les décisions qui, auparavant se prenaient au niveau d'une nation dont j'étais citoyens sont aujourd'hui prises dans un
contexte nébuleux. L'Union européenne n'est pas en effet quelque chose que les français considérent comme démocratique, à fort juste titre. Ils ont même coté contre la dernière fois qu'on leur a
posé la question (certains estiment qu'on peut poursuivre Polanski pour un viol même pas parfaitement qualifié, 31 ans après, alors pour le hold up contre la démocratie qui a été commis en 2005, je
pense que la période de prescription est loin d'être atteinte).
Il n'y a pas d'identité politique et juridique européenne avec laquelle les citoyens français se sentent à l'aise. Cela peut désoler BHL mais c'est comme ça et c'est une conviction qui devra un jour être respectée. En attendant, ce que ne voit pas BHL c'est que les guignolades pitoyables de Besson servent la cause européenne. Parce que si l'on devait vraiment examiner l'identité européenne, on pourrait d'abord trouver qu'elle n'existe pas (c'est la conviction de Habermas), et on risquerait ensuite de demander des comptes à ceux qui ne cessent de transférer plus de pouvoirs à Bruxelles (Sarkozy est tout de même un président de la république qui a accepté, avant de signer le Traité de Lisbonne, de s'engager à ne pas le soumettre à référendum devant ses propres citoyens).
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Alors, oui, vraiment, ce débat sur l'identité nationale est une vilennie. On pose à quelques immigrés qui servent de boucs émissaires des questions que l'on ferait mieux d'adresser à celui qui nous a fait rentrer dans l'OTAN, ou aux parlementaires du Modem et du PS (qui se disent progressistes) et qui ont entériné le traité de Lisbonne, en un mémorable crime du 4 février.