Il y a encore peu, relativement à la durée de ma vie, j'habitais à la campagne. C'est à dire dans l'aile d'un château à l'écart d'un hameau, lui-même à l'écart d'un village, lui-même à l'écart d'une sous-préfecture. Autant dire que de l'humain, si je voulais, je n'en croisais pas beaucoup.
Par contre je croisais beaucoup de faisans, surtout en période de chasse quand ils les lâchent tous pour que nos amis les chasseurs arrêtent de frapper leurs femmes pendant quelques temps et déversent leurs trop-pleins de testostérone sur de la volaille élevée pour.
Grâce à une télévision branchée sur un réseau hertzien, je pouvais m'informer de la marche du monde à horaires fixes et en images. Pendant un temps, on y parlait de grippe aviaire, on y montrait des cadavres de cygnes en grappes qui flottaient, des canards crevés, des pigeons menaçants dans les villes, des marchés de volaille asiatiques, des dangers sanitaires venant de l'autre bout du monde et qui allaient forcément nous toucher un jour ou l'autre. Et ça allait muter, et on allait tous crever. En gros.Dans ma petite voiture qui croisait des faisans, je pensais parfois à mon père, et à ce qu'il lui arrivait de raconter. Qu'au bled et au service militaire, il s'amusait à tuer des faisans - car ça ne court pas vite, façon dodo mais en plus petit -, en jeep et de s'en délecter ensuite entre troufions. Et je me disais qu'en période médiatique de grippe aviaire, il serait peut-être mort de faim.