Witold est étudiant à Sciences Po et effectue une année dans une école indienne à Bombay. Il revient d'un long voyage au Ladahk (nord de l'Inde) et nous lui avons
demandé de nous faire un récit de son voyage.
Jeudi 24 septembre 2009, je laisse derrière moi Bombay, ses rickshaws, frétillante armée de scarabées noirs et
La vallée de
la Spiti est ma première étape himalayenne.
Terre indépendante à l’origine placée sous le sceau des seigneurs ‘Nonos’, la région fut, au fil des siècles, alternativement rattachée nolens volens
au Tibet ou Ladakh, dont les rois respectifs se livrèrent à des guerres picrocholines dès le VIIe siècle et jusqu’à ce qu’un traité de paix signé en 1684 mît fin aux incessantes invasions
mutuelles. Suite à l’Indépendance en 1947, elle est rattachée au Punjab puis à l’Himachal Pradesh, dont elle forme aujourd’hui un district avec le Lahaul, et fait partie de ces régions qui
nécessitent un permis pour y rentrer.
Lors de mon passage au check-point de l’armée, le militaire m’accueille en pyjama, dans son duvet, bonnet vissé sur les oreilles. Résolu à ne
pas mettre un pied hors de son lit, il se redresse lymphatiquement contre son oreiller, jette un regard paresseux au précieux sésame auquel j’attachais une importance religieuse, griffonne
quelques mots sur une feuille de papier qui doit tenir lieu de registre, et me voilà au Spiti. S’isoler dans ses paysages rocailleux aussi hostiles que les villages sont hospitaliers, c’est
suivre la route qu’empruntaient les caravanes de la soie ralliant le Turkestan chinois, c’est aussi découvrir un monde où les traditions chamaniques sont encore vivaces et dont l’isolement a su
préserver d’ancestraux héritages. Au milieu de ces étendues arides couleur terre de Sienne, quelques maisons chaulées se dressent parfois.
Aux alentours, de vieilles femmes voûtées portent sur leur dos des fardeaux d’herbes sèches et de maigres lichens. On entre alors dans une maison pour prendre le thé et chercher le réconfort d’un
peu de chaleur. A 4200 mètres d’altitude, les températures nocturnes sont glaciales. Alors on se presse autour du poêle, et on tend les mains vers les flammes. Des rires fusent. De temps à autre,
on ravive le feu avec une bouse séchée, qui se consomme rapidement en une gerbe de petites flammèches. Une grand-mère prépare, dans la baratte traditionnelle, le classique thé salé tibétain au
beurre de yak, dans lequel on rajoute un peu de tsampa, la farine d’orge grillée locale. Dans un autre coin de l’unique pièce, un vieil homme tourne
son moulin à prière d’une main, égrène son chapelet de l’autre et du bout des lèvres, il murmure quelques prières. Majoritairement bouddhiste, la population de Spiti serait la descendante
sédentarisée de nomades himalayens – les Khampas, venant essentiellement de la région de Kham au Tibet – et de peuplades indo-aryennes. Spiti est de ces terres de démesure qui vous saisissent,
vous déstabilisent, vous réduisent au silence, vous mettent à nu. De ces terres qui invitent à l’humilité. Je continue mon chemin, au fil des jours, jusqu’au
Ladakh.
Le Ladakh, enfin !, le « pays des cols », dont le nom seul est une invitation au voyage. Les dizaines de bases militaires, tristes balafres défigurant la vallée de l’Indus,
contrastent avec la virginité sauvage de Spiti. Cette déception s’éclipse bien vite dès lors que l’on s’enfonce dans des vallées plus reculées.
A SUIVRE