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Rencontre avec Benjamin Alard

Publié le 27 novembre 2009 par Philippe Delaide

Alard Benjamin 2 J'ai rencontré Benjamin Alard, claveciniste et organiste. Nous avons évoqué son dernier enregistrement des six sonates de JS Bach à l'orgue Aubertin de Saint-Louis en l'Ile (label Alpha) ainsi que ses projets.

Votre dernier enregistrement des sonates N° 1 à 6 de JS Bach chez Alpha a été salué par la critique, notamment parce qu'elle propose une lecture plus intériorisée, moins démonstrative que les versions jusqu'ici enregistrées. Comment pourriez-vous plus généralement qualifier votre approche par rapport à ce répertoire ?

Benjamin Alard : je désire avant tout être fidèle à la vocation que l'on donnait à l'orgue à l'époque de la composition de ces œuvres. A l'origine, le jeu à l'orgue était plutôt conçu pour imiter les timbres des autres instruments, puis pour faire écho à la voix. Dans un répertoire plus récent (de la période baroque à la période classique) on lui a conféré un rôle avec plus d'ampleur, jouant sur la masse sonore qui peut être parfois imposante ainsi que les couleurs que l'instrument peut restituer sur ses différents registres.

A l'époque où JS Bach a composé ces sonates, je pense que l'on a dépassé le cantonnement initial qu'avait l'orgue à la période de la Renaissance pour qu'il exprime, en tant qu'instrument à part entière, les timbres et nuances associés à différents affects. Selon les indications portées sur la partition, je travaille alors sur les multiples registres possibles pour trouver les bons agencements harmoniques. Ensuite, je me concentre sur le rythme, la pulsation, et je travaille particulièrement sur l'articulation qui est essentielle.

C'est en effet ce que l'on note à l'écoute de votre enregistrement. Le contrepoint est très clair, les attaques sans agressivité et la structure rythmique particulièrement bien tenue.

B.A. : la clarté de la polyphonie rendue par les différents registres de l'orgue est pour moi essentielle. La structure rythmique propre à chaque mouvement également. JS Bach a non seulement parfaitement intégré, dans ces sonates comme dans d'autres pièces, la forme italienne. Il connaissait également tous les ressorts harmoniques et rythmiques des différentes danses qu'il a intégrées dans ses compositions. Pour prendre l'exemple des sonates et partitas pour violon seul, une allemande, une gavotte, une gigue ou une chaconne ont chacune une identité rythmique propre qu'il faut s'attacher à respecter scrupuleusement. On a eu trop tendance, notamment dans les interprétations romantiques et post-romantiques des œuvres de JS Bach, à gommer ces différences pour servir le beau son, développer une articulation finalement qui se voulait plus "générique".

Bach Alard 1

Je désire pour ma part revenir à une certaine simplicité, à une forme d'humilité pour servir la beauté intrinsèque de ces compositions plutôt qu'à tenter d'être démonstratif et afficher à tout prix  une certaine virtuosité technique. C'est pourquoi mon interprétation de ces sonates pourra paraître plus "intériorisée". Elle est tout simplement à la recherche de bien plus de naturel et de spontanéité. Elle s'attache également à bien travailler toutes les subtilités rythmiques de ces pièces d'une richesse exceptionnelle. Par exemple, il me semble important de bien travailler sur les césures qui entrent en jeu dans l'articulation rythmique pour contribuer à ce déploiement naturel des différents motifs de chaque mouvement.

En dehors de JS Bach, incontournable au clavecin comme à l'orgue, quels sont les autres compositeurs qui retiennent votre attention, pour le travail des instruments comme pour le concert ?

B.A. : j'ai une réelle admiration pour les maîtres allemands à la jonction du XVIIème et du XVIIIème siècle, comme, toujours dans la famille Bach, Johann Christoph Bach, organiste et compositeur, grand oncle de Jean-Sébastien Bach, qui a composé un corpus important de pièces pour orgue dont certaines sont de purs chef d'œuvre, Johann Adam Reincken, George Böhm et bien-sûr Dietrich Buxtehude.

J'ai beaucoup travaillé des variations écrites de Johann Christoph Bach. Dans une variation comme l'Aria Eberliniana, je suis marqué à quel point ces grands maîtres de la composition pour orgue ne cherchaient pas à tout prix à "faire mieux" mais tout simplement très bien. Je veux dire par là, qu'ils parvenaient de façon exemplaire à composer des pièces d'une grande clarté, dont la structure d'origine est finalement assez simple et parvenaient ensuite à décliner des variations sublimes qui servent à merveille cette simplicité. Il ne faut pas se détromper sur la difficulté technique réelle de certaines d'entre elles. Je parle plutôt de la trame, de la structure, du rendu qui font que ces œuvres restent d'une grande pureté harmonique et d'une haute tenue, sans jamais que leur compositeur ne soit tombé dans le piège de la faute de goût liée au fait d'avoir voulu pousser l'exploit encore plus loin.

Ces œuvres sont donc de véritables bijoux, ciselés à merveille. On retrouve la même facture par exemple dans certaines variations chorales de JS Bach comme l'Aria variata à la manière italienne pour clavier en la mineur BWV 989. Cela me fait penser à la même capacité qu'ont eu certains architectes, à la même époque, pour atteindre une puissance expressive indéniable avec pourtant des lignes très pures et dépouillées, comme, par exemple, Claude Nicolas Ledoux, incarnant l'apogée du néo-classicisme.

Quels sont vos projets, enregistrements et concerts ?

Je viens de terminer l'enregistrement des six partitas pour clavier au clavecin, toujours sous le label Alpha. Ce disque doit sortir début 2010. Il s'agit du premier volume d'un ensemble de quatre qui regrouperont l'essentiel des pièces pour clavier, avec, fait plutôt rare au disque, le même interprète sur l'ensemble du cycle.

Sinon, j'aimerais particulièrement enregistrer des pièces de jeunesse de JS Bach, insuffisamment jouées à mon goût parce que l'on a trop tendance à les négliger sous prétexte qu'il s'agisse justement de compositions de jeunesse du Cantor. Elles sont toutes magnifiques.

Concernant les concerts, celui associé au lancement du disque consacré aux partitas de JS Bach est planifié le samedi 20 mars à 17 h au Théâtre des Abbesses à Paris. Sinon, je dois me produire à plus court terme le 22 novembre au château d'Hardelot (programme Purcell, Blow) et à l'Eglise Saint-Louis en l'Ile à Paris, à l'orgue Bernard-Aubertin dont je suis l'un des titulaires. Nous sommes trois organistes, avec Vincent Genvrin et François Ménissier à nous produire sur un cycle "Bach, l'héritage musical" le premier dimanche de chaque mois. Les prochains concerts sont le 6 décembre et le 3 janvier (le dimanche à 12h30). La saison continue ensuite jusqu'au dernier concert programmé le 6 juin 2010.

Sinon, en partenariat avec le Théâtre des Champs-Elysées, nous avons initié une saison d'interprétation de l'intégrale de l'œuvre pour orgue de JS Bach (Bach "hors les murs"), dont les concerts se déroulent également à l'Eglise Saint-Louis en l'Ile et qui connaissent un grand succès. Je me produis avec quatre autres organistes de renom (Francis Jacob, Bernard Foccroulle, Jan Willem Jansen et Michel Bouvard). Les prochains concerts sont le 17 novembre et le 15 décembre. Pour ma part, mon prochain concert dans le cadre de ce cycle sera le 12 janvier 2010.

Logo Coup de coeur Poisson Reveur 4
Le disque consacré aux six sonates pour orgue de JS Bach paru chez Alpha est un coup de cœur du poisson rêveur. On notera les magnifiques couleurs de l'orgue Aubertin de Saint-Louis en l'Ile et l'excellente qualité d'enregistrement.

Extrait du premier mouvement de la Sonate N°1 en mi bémol majeur BWV 525 :

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