Intrigant objet que le subrejoug. Observez-le, une beauté inimitable. Ecoutez le son de ses élégantes petites clochettes. D’où vient-il ? De quel pays ?
Chili ? Chine ? Afrique ? Inde ? Tibet ? Bolivie ? Pérou ? Contrées aztèques ? Rien qui ne vienne des anciennes civilisations sud américaines, africaines ou asiatiques. Le subrejoug est français et plus précisément gascon. C’est l’un des plus beaux héritages de l’art paysan en Gascogne. Fatalement, je ne pouvais pas omettre d’en parler un jour sur Gersicotti Gersicotta surtout depuis que j’en ai découvert l’existence en visitant le fameux musée d’Art Campanaire (musée des cloches !) de l’Isle-Jourdain qui en a fait son symbole : le subrejoug est présent, d’ailleurs sur les billets d’entrée dudit musée.
Quand on a pour la première fois l’occasion de voir ce drôle d’objet oblong, immédiatement une question taraude l’esprit : « A quoi sert-il ? ». Car on en voit de toutes les couleurs, plus ou moins longs, plus ou moins pointus, en bois parfois en métal, arborant des motifs particuliers. Certains sont de véritables œuvres d’art où chaque détail participe scrupuleusement à la beauté de l’objet .
La question est donc « Qu’est-ce qu’un Subrejoug ? ». Un drôle de nom a priori, pour une signification toute simple : « subrejoug » est né de l’union de deux étymons latins : « super » (par-dessus) et « jugum » (joug) et signifie donc « par-dessus le joug ».
Le joug est ce qui permettait d’atteler les bêtes pour le labour, le subrejoug semble en être le décor musical : « décor » pour son esthétique, « musical » pour ses multiples clochettes. Géographiquement parlant, l’étendue du subrejoug se restreint à une petite portion de la région Midi-Pyrénées et je dirai même d’un bon morceau de la Gascogne, même s’il me semble qu’il déborde un peu de ses délimitations. Mais le subrejoug est Gascon. C’est un art pratiqué dans la belle vallée de la Saves, en Haute-Garonne, au Nord de l’Ariège jusqu’au Lauragais et bien évidemment dans tout le Gers ! Il se développe autour de la Garonne et de ses affluents.
Mariage de ma soeur en 2006. Les subrejougs ici présents sont des subrejougs fabriqués récemment et ont un rôle purement décoratif et folklorique.
Le subrejoug semble être une évolution de ce que l’on appelle la bobine. Cette bobine servait à joindre et consolider les attelages de deux bœufs. Elle s’adaptait à la morphologique de l’animal. C’est à partir de cette bobine qu’est né le subrejoug … peut être ! Rien n’est certain, mais l’hypothèse la plus plausible serait qu’un jour, un homme ait trouvé dommage de garder la bobine si petite et qu’il se soit amusé à la façonner de manière différente, en lui donnant une forme oblongue, une texture douce au toucher en la polissant et ce même si c’était tout à fait, a priori, inutile. Cela a donné d’abord des formes de subrejougs assez simples, modestes, mais jolies.
Peu a peu la créativité, l’art, les croyances vont s’en mêler et le subrejoug évoluera vers quelque chose de plus travaillé jusqu’à devenir de beaux objets d’ornement.
Outre à orner magnifiquement les jougs des bœufs, quel est le rôle du subrejoug ? Les croyances se sont vite mêlées à cet art et le subrejoug avait un rôle protecteur lorsqu’il possédait des clochettes : ces clochettes ont une symbolique relativement divine dans la plupart des religions et sont considérées comme étant le lien entre la terre et le ciel, elles sont également la miniature des cloches des églises, d’ailleurs, les subrejougs étaient assimilés à de petits clochers. Ceux qui possèdes des orifices d’où surgissent les clochettes, ne sont pas sans rappeler les clochers murs de bon nombre de nos églises gersoises.
Clocher mur de l'église de Rigueupeu
Mais avant tout, le subrejoug avait un rôle d’identification : il était personnalisé au propriétaire de l’attelage. Grâce à la multiplicité des clochettes vendues, chaque joug avait une composition mélodique unique d’autant plus que le nombre de clochettes était variable et que la taille du joug n’était pas toujours la même : d’un point de vue sonore cela créait des effets différents d’un objet à l’autre. Il permettait à chacun de savoir à qui appartenait l’attelage, de faire savoir sa présence. Le subrejoug était aussi un élément très utilisé par le paysan dans les manifestations festives : il apportait de la gaieté et de l’ambiance. Aujourd’hui encore, dans la région, certains paysans proposent aux futurs mariés d’être conduit à l’église par un attelage d’antan comme avant.
On trouve en général deux types de subrejoug :
-le type lauragais, de forme plutôt ovoïde, allongé à la pointe
- le type Saves en forme de fuseau, plus régulier.
Ces deux types n’ont pas empêché certaines réalisations surprenantes tels que des subrejougs en forme de crayon, d’obus ou encore de tour Eiffel !
Et si vous ne connaissiez pas le nom de "subrejoug" peut-être connaissiez-vous celui de "surjoug", "cloquièr/cloquerot" (en référence à la cloche surement !), "bejoet", "suberjoet" ...
[Source :
le Subrejoug, des amis du musée d’Art campanaire, texte de Georges Laborie, 1997, en vente au musée, sur internet et disponible à la lecture et à l’emprunt à la bibliothèque d’Auch]