Dans une tribune conjointe, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et son homologue français Bernard Kouchner ont appelé la Russie à ne pas suspendre le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE).
L’Allemagne et la France ont pris ensemble une initiative visant à préserver le Traité FCE. L'objectif est de permettre l’entrée en vigueur rapide de l’accord d’adaptation du Traité FCE signé à Istanbul en 1999. Cet accord ajuste le traité aux nouvelles réalités de politique de sécurité apparues après la fin de la Guerre froide.
Tribune conjointe de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, et Frank-Walter Steinmeier, Ministre fédéral des Affaires étrangères parue dans "Le Figaro" (29 octobre 2007)
"Depuis la fin de la Guerre froide, l’Europe a progressivement retrouvé la maîtrise de son destin. L’Union européenne a apporté une contribution essentielle à la sécurité sur le continent. Elle s’est donnée les moyens d’œuvrer à la sécurité internationale en agissant au-delà de ses frontières, soucieuse à la fois de ses intérêts de sécurité et de ses valeurs. Nous avons enregistré des avancées substantielles en matière de politique européenne de sécurité et de défense depuis dix ans. Nous devons continuer sur cette voie, avec une priorité : le renforcement des capacités européennes.
La Stratégie européenne de sécurité adoptée par l’Union européenne en 2003 identifiait à juste titre quatre menaces stratégiques pour les Européens : le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux et la déliquescence des Etats.
Il s’agit-là de menaces essentielles, mais nous aurions tort de sous-estimer les enjeux plus traditionnels liés à la maîtrise des armements classiques et aux relations entre Etats. C’est pourquoi l’intention annoncée par la Russie de suspendre le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) suscite notre préoccupation. Car une fragilisation de ce traité risquerait d’aboutir à de nouvelles courses aux armements, de créer de nouvelles lignes de confrontation.
La « Charte de Paris pour une nouvelle Europe », adoptée par la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe en novembre 1990, avait esquissé une vision qui, dix-sept ans plus tard, conserve toute sa pertinence : établissement de la démocratie, de l’Etat de droit et de la liberté d’expression, protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans une Europe constituée d’Etats égaux en droits.
Dans le domaine de la sécurité surtout, la Charte formulait une position capitale : la sécurité en Europe est indivisible, et la sécurité de chaque Etat européen est indissociablement liée à celle de tous les autres Etats européens.
Le Traité FCE, directement issu de cette vision, a consacré le plus important processus de désarmement volontaire et contrôlé de forces conventionnelles de l’histoire. Il a su répondre aux espoirs placés en lui et constitue jusqu’à présent une ancre de stabilité pour la sécurité européenne.
De nombreux commentateurs agitent aujourd’hui le spectre d’une nouvelle guerre froide. Face à ce risque, et pour éviter le retour à d’anciens schémas de conflits que l’on croyait dépassés, toutes les parties doivent faire preuve de souplesse.
Annoncée par le président Poutine, la suspension du Traité à partir du 12 décembre pourrait signifier la fin du Traité FCE. Tous les Etats du continent en sortiraient perdants. C’est pourquoi nous appelons les autorités russes à renoncer à cette suspension et à choisir la voie de la négociation, la mieux à même de sauvegarder leurs intérêts légitimes. Et c’est pourquoi nous nous réjouissons du dialogue qui a lieu entre les Etats-Unis et la Russie sur ce sujet.
Nous ne pouvons rester inactifs. L’Allemagne et la France ont pris ensemble une initiative visant à préserver le Traité FCE. En organisant deux séminaires rassemblant tous les Etats parties au Traité ainsi que les Etats baltes et la Slovénie, notre objectif est de permettre l’entrée en vigueur rapide de l’accord d’adaptation du Traité FCE signé à Istanbul en 1999. Cet accord ajuste le traité aux nouvelles réalités de politique de sécurité apparues après la fin de la Guerre froide. Dans le même temps, nous escomptons que seront remplis les engagements souscrits par la Russie en 1999, également à Istanbul, notamment en ce qui concerne le retrait de ses forces de Géorgie et de Moldavie.
Toutes ces préoccupations ne sauraient être réglées de manière satisfaisante à court terme. C’est pourquoi il est important que chacun laisse ouverte la voie vers de nouveaux ajustements, même après l’entrée en vigueur du Traité adapté.
L’Europe a été la première à bénéficier de la chute du Mur de Berlin et d’un nouvel environnement de sécurité fondé sur la coopération. Au moment où des inquiétudes apparaissent sur la pérennité de cet environnement, il nous appartient de confirmer que la coopération en Europe permet seule de garantir la stabilité et la sécurité de tous. La sécurité européenne s’inscrit plus largement dans l’environnement international de sécurité. Nous devons continuer d’œuvrer pour que l’esprit de coopération et de respect des engagements qui anime notre collaboration entre Européens prévale ailleurs dans le monde, qu’il s’agisse de traités bilatéraux ou multilatéraux. Nous devons relancer au niveau global le dialogue sur la politique de maîtrise des armements.
Dans le domaine des armes nucléaires, l’avenir des grands accords russo-américains de maîtrise des armements (FNI, START) ne peut sans dommage être soumise aux aléas politiques du moment. Quant à la défense antimissile, nous souhaitons que les échanges bilatéraux avec les Etats-Unis et avec la Russie se poursuivent sur ce sujet, ainsi que les échanges entre Russes et Américains. C’est la meilleure manière de faire prévaloir une approche coopérative de ce projet et de répondre à la menace véritable : la prolifération balistique.
Dès 1992, le Conseil de sécurité s’était engagé à agir face à la prolifération des armes de destruction massive. Cet engagement a été réaffirmé et élargi aux vecteurs en 2004. La Stratégie européenne contre la prolifération des armes de destruction massive, adoptée au même moment que la stratégie européenne de sécurité en décembre 2003 par le Conseil européen, marque l’importance que l’Union attache aux efforts pour contrer la prolifération. Et notre recherche d’une solution négociée à la crise iranienne actuelle s’inscrit dans ce cadre.
Nous le savons : notre action conjointe contre la prolifération passe à la fois par une réponse aux crises de prolifération et par la consolidation du régime, multilatéral et équilibré, de non-prolifération nucléaire.
Agissons donc dès aujourd’hui pour faire de la conférence d’examen du Traité de non prolifération de 2010 un succès.
Faisons-le au nom des principes qui ont façonné le développement de l’Europe et son affirmation progressive sur la scène internationale : le dialogue, la coopération, et la persévérance."