Assemblée Nationale du Québec
Un nouveau courriel. Une représentante du ministre des finances du Québec qui m’écrit personnellement pour me demander d’aller donner mon opinion quant aux orientations que doit prendre le gouvernement lors de son prochain budget. Le gouvernement en personne qui prend la peine de m’écrire! Et qui écoutera mes suggestions! Wow!
En fait, il s’agit plutôt d’un exercice de propagande que de quoi que ce soit d’autre. Quelques questions plus ou moins dommageables, et à la page quatre, le couperet de désinformation tombe, avec une litanie de questions orientées. Parmi celles-ci, la pire de toutes: Faut-il « augmenter les impôts des particuliers et des entreprises, même si cela affecte notre compétitivité »?
Vous avez bien lu. On ne demande pas au citoyen de juger de la meilleure façon de renflouer les coffres de l’État. Non, on lui impose une manière de voir, c’est-à-dire qu’on lui suggère, explicitement, que de hausser les impôts ne serait pas une bonne idée. Faut être compétitifs, voyez-vous! On doit pouvoir rivaliser avec de petits Chinois enchaînés à leurs machines et payés un salaire de misère. C’est la lutte de tous les pays conte tous les pays, et il serait indécent de demander aux mieux-nantis de faire leur part, eux qui ont profité de généreuses baisses d’impôts depuis une décennie!
Or, au-delà de la compétitivité, que l’économiste et prix Nobel d’économie Paul Krugman considère comme un mauvais indicateur pour un pays, n’y a-t-il pas des objectifs plus importants? Tiens, une meilleure redistribution de la richesse par exemple? Ou la lutte à la pauvreté et la plus grande cohésion sociale qu’elle implique?
Comme je l’écrivais dans un précédent billet, les pays qui ont les impôts les plus élevés sont également ceux dont la pauvreté de la population en âge de travailler est la plus faible. De même, je notais ici que les deux pays de l’OCDE dont le niveau d’inégalité a le plus augmenté depuis les années 80 sont la Finlande et la Nouvelle-Zélande, et que ces deux nations se sont attaquées à la progressivité de l’impôt. Et puis, le clou dans le cercueil des idéologues de la vieille droite, il y a une quasi-corrélation entre le niveau d’imposition d’un pays et ses inégalités sociales: plus un pays impose ses citoyens, moindre sont les inégalités!
En fait, en attachant une conséquence qu’on espère négative à sa question, le gouvernement manipule les citoyens en leur faisant faussement croire que l’annulation des généreuses baisses d’impôts consenties depuis une décennie (de 1998 à 2007, le taux implicite d’imposition du quintile supérieur est passé de 27,3% à 22,9%) serait une mauvaise chose. On lance le message suivant: on « pourrait » hausser les impôts, mais surtout n’y pensez pas!
Pourtant, pour d’autres questions, on n’a pas hésité à introduire des nuances et des spécifications censées protéger la classe moyenne et les plus démunis. On a parlé, par exemple, d’« Instaurer une contribution spécifique pour financer le système de santé tenant compte de la capacité de payer de chacun » ou de « Hausser les tarifs d’électricité en tenant compte des coûts croissants de production, tout en protégeant les ménages à faible revenu et la compétitivité des entreprises ». Ce ne sont plus des questions, ce sont des affirmations idéologiquement orientées.
Imaginerait-on, à l’inverse, les questions suivantes:
- Faut-il annuler les baisses d’impôts des particuliers et des entreprises, des baisses qui ont profité principalement aux mieux-nantis et qui ont contribué à faire augmenter les inégalités sociales?
- Faut-il s’opposer à la privatisation insidieuse qui gangrène notre système de santé et qui gaspille les ressources de l’État tout en créant un système à deux vitesses où les plus pauvres obtiennent des soins de moins bonne qualité?
- Faut-il baisser les tarifs d’électricité en tenant compte du fait que ce sont les plus pauvres à qui ces tarifs font le plus mal et qu’on ne doit pas renflouer les coffres de l’État en les pénalisant?
Il est facile de bâtir des questions idéologiquement orientées. Facile et lâche. Le gouvernement devrait plutôt être à l’écoute de la population et se faire le représentant de ses désirs. En manipulant les questions qu’il pose aux citoyens, le ministère des finances ne peut qu’obtenir les résultats qu’il souhaite afin de nous précipiter dans des réformes ayant connu un retentissant échec, tant en Islande qu’en Irlande ou ailleurs.
Il serait peut-être bon de le rappeler: en période de crise, il est normal, voire souhaitable de faire des déficits afin de stimuler la demande. Ce qui l’est moins, par contre, est de baisser inutilement les impôts des plus privilégiés dès que la prospérité est au rendez-vous et de faire payer ce fabuleux party à la classe moyenne et aux plus pauvres dès que le ciel se couvre de nouveau.
Avec ces questions qui sous-entendent de tristes réformes, le gouvernement Charest démontre qu’il n’a rien appris de l’échec populaire de sa réingénierie de l’État de 2003, un programme idéologique que la population avait fortement condamné, que ce soit en manifestant ou aux urnes, en lui enlevant sa majorité.
Face aux dogmes et à l’aveuglement idéologique, même la réalité a tendance à s’effacer.
http://louisprefontaine.com/2009/11/25/manipulation-ministere-finances-quebec
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L’aveuglement idéologique du ministère des Finances