Un spectacle sur la plage, c’est pour éloigner l’hiver berlinois?
J’ai grandi à Tel Aviv où les hivers durent huit mois et où il fait au pire entre 18 et 25 degrés, ici, en Europe, particulièrement à Berlin, je dois affronter des hivers longs et froids. Ce n’est pas pour rien que je créé cette pièce en décembre. Au milieu de l’hiver berlinois ce sera comme un morceau de paix et de chaleur pour le public, un peu comme aller au sauna, une sorte de soulagement. Moi-même je ne me fais toujours pas à l’idée de l’hiver berlinois. Je crois que la seule chose qui me fera battre en retraite un jour, c’est la neige, comme les Allemands sur le front russe!!!
Pourquoi ce titre Matkot, qui signifie “beach ball en hébreu?
Au début cela démarre par une plage calme, avec un cocotier, puis on arrive à la réalité : une plage pleine de gens qui font du bruit, écoutent chacun la radio, mangent, chacun vit sa vie. Les jeux de plage créent une sorte de bruit de fond. Depuis quelques années, le Maktot est presque devenu un sport national. Quand on est sur la plage à Tel Aviv, on entend toujours ça en bruit de fond, c’est vraiment dérangeant.
Est-il question des plages allemandes aussi?
Oui, nous sommes aussi allés à Wannsee, où tout était très calme, très différent de Tel Aviv. Moi par exemple, je n’irai jamais me baigner dans cette eau verte et stagnante. Il me faut de l’eau chaude, qui bouge! Il y a plein de cultures de plages différentes, Chuk, qui a travaillé avec moi sur la création, vient de Corée, et elle dit que c’est encore plus fou qu’à Tel Aviv là-bas.
ET des FKK (naturistes, ndlr) il y en aura?
Non je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je n’ai pas de problème avec la nudité, mais ça me gêne un peu cette manière de parquer les gens, les tout nus à part, cela me fait penser à des vaches qu’on rassemble. Je ne me sens pas à l’aise au milieu de tous ces gens à poil.
Vos pièces sont toujours à la frontière de plusieurs arts. Les définiriez vous comme de la danse, de la danse-théâtre (Tanztheater) ou de la performance?
Je ne suis pas un créateur stable. Là je reviens d’une création pour l’opéra de Francfort où j’ai travaillé avec David Lehmann, c’était de la pure chorégraphie. Action, que nous avons joué dans la nouvelle synagogue de Berlin c’était du théâtre et de la performance. Matkot se situe plus entre la danse et la performance. C’est une pièce avec beaucoup de danseurs, de gens inexpérimentés, d’invités surprises. Cela ne traitera pas seulement de la plage, mais aussi de la sensualité d’avoir quelqu’un à côté de soi si près et comment ce la réveille la partie érotique de votre cerveau. Il sera beaucoup question de l’interaction entre les gens, cela reflète ce besoin de contact, souvent quand on va à la plage seul on regarde beaucoup les autres. Vous êtes là et vous pensez à plein d ‘autres choses, pas seulement au soleil et à la baignade. Comment vous êtes touchés par exemple, maintenant on vous propose des massages pour 5 euros qui font plus de mal que de bien ou des cours de méditation. C’est vraiment à propos de tout ça. Cette superficialité.
Long silence...
En fait, je suis très influencé par l’image et le cinéma. Ce que j’aime c’est cette capacité de manier cet art visuel que la danse ne permet pas. Au cinéma il est possible de montrer en même temps deux situations, la réalité et la fiction, le fantasme. Il y a aussi cette capacité à basculer d’une émotion à l’autre en moins d’une seconde que la danse ne permet pas. Sur scène c’est beaucoup plus délicat, on tombe très vite dans le pathétique. Action par exemple racontait la création d’un film tourné dans une synagogue avec Dieu pour scénariste. On a commencé en bas, et on a fini au 3e étage, un peu plus près du ciel, et de Dieu. Il y avait une ligne narrative mais l’idée n’était pas de conduire le spectateur du point A au point Z en utilisant toutes les lettres dans l’ordre, c’était au spectateur de reconstruire lui-même l’histoire.
Comment avez-vous réussi à jouer dans la nouvelle synagogue?
J’ai été très chanceux, c’était la première fois que la synagogue de Berlin s’ouvrait à un spectacle. J’ai insisté longtemps avant d’avoir un rendez-vous avec eux, et puis quand ça s’est fait, ils ont trouvé que c’était la bonne compagnie, au bon moment, dans le bon lieu. Ca a été un grand succès, on a été plein tous les soirs. Cela a été reçu différemment par la critique locale allemande notamment, qui n’a pas trouvé que c’était la bonne pièce dans le bon endroit. Ils jugeaient que cette pièce n’avait rien à voir avec l’histoire du lieu, avec ce passé chargé entre Juifs et Allemands. C’est typiquement allemand de penser comme ça. Mais beaucoup de gens au contraire étaient soulagés que ma pièce ne parle pas de ça.
Vous vivez à Berlin depuis 2003, qu’est-ce qui vous fait rester ici?
L’argent (rires), non....
Ah bon? Mais pourtant Berlin a la réputation d’être pauvre...
Oui mais ça amène les gens à travailler beaucoup. C’est très différent de ce que j’ai pu vivre en Belgique ou en Hollande, où il y a un système pour les artistes, pour les danseurs. Là-bas ils n’ont pas besoin de travailler autant, et cela change le rapport à la création. Ici c’est beaucoup plus dur, tu te lèves le matin en te disant que tu dois survivre.
Vous ne travaillez plus en tant que danseur?
Quand je suis arrivé il y a cinq ans, je faisait partie des Dorky Park de Constanza Macras, j’ai vraiment aimé ça, et j’aimerais vraiment faire encore des choses avec eux mais je n’ai plus le temps pour ça, ni pour danser pour d’autres. En tant que danseur j’avais l’impression d’avoir atteint ce que j’avais à faire, j’en suis arrivé au point où ce que j’ai envie de faire c’est être chorégraphe.
Berlin est-elle une sorte de paradis pour la danse contemporaine?
Je la vois plutôt comme une île artistique dans le monde. Je ne dirai pas que cela concerne seulement la danse. Je suis un peu comme ces acteurs qui n’aiment pas le théâtre, ou ces réalisateurs qui ne vont jamais au cinéma, je m’intéresse peu à la scène de la danse berlinoise. Mais je suis porté par tous les autres courants artistiques, que ce soit les expositions à la Neue National Galerie ou au Martin Gropius Bau, ou le travail des illustrateurs que je suis particulièrement ici. Tout cela est source d’inspiration. Je me sens vraiment ici dans la ville où je dois être. Avant j’avais passé trois ans à Amsterdam, j’étais soutenu financièrement mais ce n’était pas l’endroit où je voulais vivre.
Quels sont vos rapports avec le Dock 11 où sont jouées presque toutes vos pièces?
Ils m’ont toujours soutenu, ils croient vraiment en moi, ils m’ont permis de me lancer dans mes projets, de développer mon art, et de le mûrir. Mais je peux aussi passer du Dock 11 à l’opéra de Francfort. En 2010 je suis invité à Bangkok, également à la Raffinerie de Bruxelles.
Et la France?
J’ai joué récemment à Bordeaux, dans le cadre des Grandes Traversées, c’était vraiment bien. J’avais peur que les langues étrangères soient un problème pour le public français mais maintenant avec les surtitres, ça passe partout.
Matkot, de Nir de Volff/TOTAL BRUTAL, Première ce soir, 20h30, Dock 11, jusqu'au 30 novembre, puis du 4 au 6 décembre. 8-13 euros.
3 Some une de ses premières pièces, grand succès berlinois, rejoue également du 4 au 6 février au Dock 11..