Deuxième confusion.- L’euthanasie, on y a insisté, est un homicide volontaire. La définition, après avoir indiqué de manière générale qu’elle consiste à « donner la mort à un malade incurable », glisse imperceptiblement vers le fait que cette mort est demandée par le malade lui-même. Laissons ici de côté toutes les difficultés – fort nombreuses – liées à la question de savoir quand cette
demande a été exprimée, et en quelles circonstances : par un “testament de vie”, un living will, pendant lequel, encore sain, la personne a
anticipé ses derniers jours ? Pendant la maladie elle-même, et à quel stade ? Dans le brouillage mental de la souffrance ou en pleine connaissance de cause ? Librement ou
non ?
Observons seulement ce transfert de l’acte du médecin ou du personnel médical vers l’acte du patient, qu’accompagne l’expression d’un glissement non explicite mais nécessaire
de responsabilité : « Vous voyez, ce n’est pas moi, médecin, qui commets un crime ; je ne fais que répondre à la demande d’un malade. Je
suis dans mon rôle en répondant à sa souffrance ». Le responsable, le seul responsable, c’est finalement le malade et comme il va mourir, il n’est évidemment pas question de l’inquiéter.
On assiste ainsi à une “amoralisation” de l’acte létal lui-même, de celui qui « donne la mort », directement ou indirectement. Cet acte est censé
sortir ainsi du champ de la définition de l’homicide volontaire dans lequel il avait pourtant été initialement présenté, et c’est dans cette mesure qu’il est aujourd’hui proposé de le légaliser.
Les termes de l’Académie française expriment très exactement, volontairement ou non, cette manipulation.
De quoi s’agit-il dès lors ? L’idéologie qui empoisonne nos sociétés a déjà réussi à convaincre grande partie des populations que la mise à mort de millions d’enfants, dans le sein de leur mère, pouvait constituer un acte thérapeutique. Elle cherche aujourd’hui à nous faire accroire que le meurtre d’un malade est aussi, si l’on ose dire, un acte de cette nature. Avec cette particularité que la mort ne frappe pas ici un être humain embryonnaire mais un être humain censé exercer la plénitude de son droit sur lui-même. Au slogan « mon ventre m’appartient » répond, en bout de chaîne, non sans une certaine logique, cet autre slogan : « Ma vie m’appartient ». Le médecin, de son côté, avec toute sa compétence et les moyens dont il dispose, est supposé ne répondre finalement qu’à une attente, par une intervention qui valorise non seulement la pitié pour la souffrance d’autrui, mais aussi et surtout le respect de son droit inviolable à disposer de lui-même.
Dans cette perspective, l’euthanasie n’est plus un meurtre. Elle constitue seulement un suicide médicalement assisté. Là encore,
la confusion est totale. La définition du Dictionnaire, qui englobe – comme on l’a relevé dans l’article précédent – des comportements qui ne
relèvent pas de l’euthanasie, permet de faire passer, à rebours, des comportements véritablement euthanasiques pour des actes qui n’en sont pas. Ainsi, sous l’expression « euthanasie passive », on englobe le fait qu’un traitement puisse être suspendu, mais cette suspension s’entend ici d’un moyen indirect de donner
la mort, comme l’est aussi la suspension de réanimation, également visée. En confondant ici ce qui relève de la décision de mettre un terme à un traitement inutile ou disproportionné et ce qui
relève d’une décision qui doit directement donner la mort, on fait entrer le meurtre dans la catégorie du moralement acceptable. En d’autres termes, on en supprime le caractère homicide pour le
nover en acte de miséricorde. Le médecin “opérateur” et le lobby euthanasien y trouvent évidemment leur compte.
Reste pourtant, à supposer que le médecin puisse ainsi se défausser de son acte sur le malade, ce qu’on ne saurait concéder, que l’acte ainsi analysé est un suicide. Or le suicide est lui-même un homicide. « Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi. Il offense également l’amour du prochain, parce qu’il brise injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine à l’égard desquelles nous demeurons obligés. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant. » Et pour ne laisser subsister aucune équivoque, le Catéchisme de l’Eglise catholique ajoute : « La coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale » (2). Eu égard aux confusions qui surviennent également souvent dans le rappel de ces normes, il faut ajouter qu’en se déterminant ainsi, l’Eglise ne porte évidemment aucun jugement sur les personnes que leur état de faiblesse ou de détresse a portées à ces actes. Elle ne fait que rappeler la loi morale, laquelle repose sur le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu à connaître d’une affaire où une femme de 43 ans, atteinte d’une maladie incurable, avait demandé à son mari, ne pouvant le faire elle-même (en raison de sa paralysie) de l’aider à se suicider. Auparavant, elle avait sollicité l’autorité compétente, par le biais de son avocat, de prendre l’engagement de ne pas poursuivre le mari, ce qui avait été refusé, le concours au suicide étant interdit en droit anglais (3). Elle a alors saisi la Cour européenne, au visa de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au « droit à la vie ». La Cour européenne a décidé ceci :
En d’autres termes, pour la Cour européenne, le droit à la vie, légalement reconnu et protégé, ni ne s’identifie à un droit sur la vie, ni il ne le crée. Le droit naturel se trouve en plein accord avec cette motivation, en sorte que l'euthanasie ne trouve de
justification morale, ni en tant qu'homicide, ni en tant qu'aide au suicide médicalement assisté.
(à suivre)
Pierre GABARRA
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(1) Jean-Paul II, Encyclique Evangelium vitae, n° 65.
(2) Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. 2280-2282.
(3) Le droit français ne punit que la « provocation » au suicide suivie d’effet : art. 223-13 du code pénal.