En una noche oscura
con
ansias en amores inflamada
o
dichosa ventura
salí
sin ser notada
estando
ya mi casa sosegada
Une voix parle dans l'écrit qu'on n'entend pas
d'abord. Parce qu'elle parle en silence. Mais elle est ce qui fait tenir les mots
ensemble, les syllabes, le moindre phonème, leur donnant ce mouvement comme
d'un souffle qui les traverse. D'abord la plainte : a, a, a, avec cette multiplication de la voyelle a, notamment sous sa
forme accentuée et comme base de l'assonance a…a, elle même constitutive de la rime : ansias… inflamada… notada… estando ya... casa sosegada. Cela glisse sous
les mots, tissant entre eux un rapport si étroit qu'on ne les perçoit plus
séparément.
[...]
Tout se tient à tel point que c'en est
inextricable. Comme le corps et le langage. Si la prière est, à l'origine, un
discours de gestes plus que de paroles, le poème est un geste discursif : le
maximum de corporalité dont puisse être investi le langage. Tout en découle.
C'est là que mystique et poésie se rencontrent et se confondent. Une
"oralité" est au travail, qui n'a rien à voir avec du parlé. Elle
est, silencieux, ce mouvement du corps qui fait
le sens aussi bien et autrement que le lexique et la syntaxe. C'est pourquoi il
fallait commencer par là. Pour faire entendre ce silence, aussi bruissant que
dans l'oreille le bruit du sang.
De cette complexité, aucun calcul ne pouvait
rendre compte. Seule, peut-être, une écriture qui, en français, serait
traversée par un souffle proche et ferait entendre, dans son ordre, quelque
chose d'analogue. Comme, entre autres, ces [ã] et ces [a] qui s'imposèrent au
traducteur sans qu'il les ait cherchés, accompagnés du [s] voisé et sa variante
sourde :
Dans une nuit obscure
par un désir d'amour tout embrasée
oh
joyeuse aventure
dehors
me suis glissée
quand ma maison fut enfin
apaisée.
Exercice proprement amoureux, la traduction est
un exercice d'incarnation : un corps pour un autre, une voix pour une autre.
Afin que dans le souffle, la singularité de l'une, s'entende le souffle, la
singularité de l'autre. On n'avait pas à traduire ici des mots mais cette voix
— ce corps — dont j'ai parlé. [...]
Jacques Ancet, L'amitié des voix, 1 Jean de la Croix La traduction ou l'amour,
publie.net, p. 20 et 21
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Contribution de Maryse Hache