Alors juste en rentrant j'ai balancé trois Efferalgans dans une tasse avec un minimum d'eau. J'ai allumé une clope et la lumière du salon, vidé mes poches sur le bureau, comme d'habitude. Après je suis allé dans la salle à manger, me suis envoyé directement dans le gosier la mignonnette de cognac qui traînait. J'ai enlevé mon caban, ma chemise, commencé à tourner en rond en tirant sur ma cigarette sans l'apprécier vraiment. J'ai ouvert le bahut, sorti un verre à liqueur, y ai versé de la mirabelle maison. Un, deux, puis un troisième.
J'ai avalé ce qui venait de se dissoudre et ai allumé une autre clope, alors que la première n'était même pas achevée. Dans ma planque personnelle, j'ai attrapé le tube de médicaments et en ai balancé deux autres dans la tasse. J'ai pris deux anxiolytiques, avalés avec une dernière gorgée de mirabelle. J'aurai préféré un whisky bien sec. Tout ça pour redevenir moi-même, pour que le cerveau ferme sa gueule, pour foutre en l'air presque deux mois d'efforts. Mon corps ne tenait plus le choc alors que je le ménageais. Tout ça pour oublier que tout aurait pu être différent si je n'avais pas été seul et haletant dès la naissance, que j'avais perdu et enterré la plupart de mes souvenirs, que j'étais même allé jusqu'à ranger ses foutues lettres dans un tiroir.
J'ai mis The End dans les oreilles, le volume au maximum. Comme une envie que tout parte en flamme, de tout détruire, que la fin se précipite sans qu'on l'attende béatement la gueule grande ouverte, comme des cons qui épient leur fiche de paie dans la boîte-à-lettres. Je ne vaux pas mieux que ces crétins: je commence à faire des projets à longs termes, je suis content d'avoir arrêté de boire et je fume du tabac de merde parce que ça fait des économies et qu'il me reste de l'argent à la fin du mois. S'épargner et vivre au chaud, pour tirer l'illusion de la sécurité.
La tête commençait à tourner et la fuite était bien engagée. Je ne suis rien de plus qu'un escroc. Peut-être que j'ai un talent quelconque, mais sans être moi-même ça tourne en rond et n'avance pas. La nausée se pointe, aucune de savoir ce qui peut la causer. Alors je crache par la fenêtre en seul signe de défaite. Là, pour une nuit, drapeau blanc et bienvenue dans un autre espace-temps.
La tête tourne et les phrases viennent seules. J'ai ouvert la fenêtre en grand pour avoir froid. Dehors il n'y a que le silence. Les gens sont morts et ignorent qu'ils attendent. Pourvu que rien de mauvais ne se passe, c'est tout ce qui compte. Noël arrive, on ne va plus se sentir seul, c'est le plus important.
Je l'ai fait parce que sinon je n'aurais pas pu l'écrire.