Je lis parfois avec bonheur de la science-fiction. Mais les histoires qu’on y raconte me passionnent rarement, à quelques exceptions près : je citerais, par exemple, le cycle des Fondation, celui de Dune, et quelques romans isolés : La terre demeure, L’Enchâssement. Ce qui m’intéresse dans la S.F., c’est la sociologie et la psychologie que l’auteur peut créer de toutes pièces. Des nouvelles sociétés, de nouveaux rapports humains, construits sur de nouveaux axiomes.
J’ai souvent pensé à cela en lisant « Très mauvaises nouvelles » de William Trevor.
Trevor est considéré comme un des plus grands nouvellistes anglais de notre époque – même s’il est né en Irlande. Il est donc assez naturel qu’il mette en scène des personnages proches de son milieu ambiant. Mais je ne suis pas dupe : ce sont des extraterrestres, en un peu moins humains.
Trevor raconte très bien. Et même mieux que moi : il préfère ne pas s’immiscer dans l’histoire. Il narre sobrement des histoires très quotidiennes. Tristes et quotidiennes. Une gourde un peu confiante qui se fait emballer par un Casanova de bureau. Des histoires de couples mal emboîtés. Du quotidien, je vous dis.
Mais ce quotidien devient extravagant par le fonctionnement des personnages. Ce
sont évidemment des extraterrestres. Je ne comprends pas leurs réactions, leurs sentiments, les phrases qu’ils échangent. Tout est logique, cohérent,
mais incompréhensible. Ce qui crée, dans ses nouvelles, un merveilleux climat d’étrangeté. Nous lisons Trevor dans un monde parallèle.
Oui, oui, bien sûr, je sais, ce sont peut-être simplement des Anglais.
J’aimerais savoir, comme lui, assembler des personnages à programmation biscornue.
Pour les voir ensuite s’échapper dans ma nouvelle, ou mon roman. Pour les voir s’approprier l’histoire, la déformer. C’est un exercice auquel je me livre dans mon roman en cours d’écriture, et
cela donne des résultats surprenants. Il est bon, pour un auteur, d’être dérouté par ce qu’il écrit.