Je suis d'un tempérament difficile à l'égard des comédies. Au-delà de ma préférence naturelle envers les dramas, il est rare d'obtenir de moi plus qu'une vague esquisse de sourire. Cependant, il existe quelques exceptions me permettant d'occuper mes longues soirées de déprimes hivernales, au rang desquelles figure en bonne place Yes Minister. Une de ces sitcoms que je chéris, une des rares à réussir à me faire rire aux éclats devant mon petit écran. Cette série, écrite par Anthony Jay et Jonathan Lynn, appartient sans nul doute au panthéon des comédies britanniques. Véritable institution en terme d'humour, elle comprend trois saisons qui furent diffusées de 1980 à 1984. Une suite -conséquence de la promotion du la figure politique centrale-, Yes Prime Minister, durera ensuite deux saisons, de 1986 à 1988. Au total, la série comporte ainsi 38 épisodes. Avec ses dialogues savamment ciselés et son excellent trio d'acteurs principaux (Paul Eddington, Nigel Hawthorne, Derek Fowlds), cette comédie est un petit bijou d'humour dont la caractérisation des thématiques politiques est intemporelle.
Yes Minister nous plonge dans les coulisses d'un cabinet ministériel, en prenant un malin plaisir à nous dépeindre les rapports de force continuels et conflictuels entre les fonctionnaires en place de l'administration et le politique censé les diriger, leur ministre. Au centre de ce délicieux et habile numéro de duettistes, se trouve un duo de brillants personnages qui symbolisent parfaitement chacun les deux systèmes qu'ils représentent. D'un côté, il y a Jim Hacker (Paul Eddington) qui incarne la figure du politicien ambitieux et pragmatique, membre d'un parti qui revient au pouvoir après des années d'opposition. La politique et sa fameuse notion de "réforme" se résume, chez lui, à mesurer le potentiel gain d'exposition que cela peut lui apporter, accordant un soin particulier aux retombées médiatiques certaines et aux votes probablement gagnés. Ainsi a-t-il tendance à mesurer la réussite de sa dernière initiative politique en fonction du nombre de colonnes des articles lui étant consacrés dans les journaux. S'il suit toujours l'air du temps et de l'opinion publique (ou de son parti), Hacker ne manque pourtant pas de bonne volonté. Cependant, ses velléités réformatrices se heurtent toujours à l'invariable Sir Humphrey Appleby.
Sir Humphrey (Nigel Hawthorne), représentant de l'indéboulonable establishment administratif, est quant à lui un fervent partisan du statu quo, contre vents et marées. En théorie, il est celui qui doit assister le ministre dans sa politique ; en pratique, la majeure partie de son activité consiste à canaliser, voire à annihiler, toutes les pulsions réformatrices politiciennes de son patron. En présence de cette figure interne d'opposition systématique, les épisodes se résument ainsi souvent à suivre l'évolution du rapport de forces entre les deux, comme une partie d'échecs, chacun usant de mille et une stratégies pour parvenir à imposer ses vues. Au milieu de tout cela, Bernard Woolley (Derek Fowlds), secrétaire privé du ministre, mais également fonctionnaire dont la carrière dépend de Humphrey, compte les points et se retrouve constamment pris entre deux feux et deux loyautés théoriques qui s'opposent. Avec un art du compromis tout personnel, il s'efforce de garder un minimum de neutralité en ne mécontentant ni l'un, ni l'autre ; toujours prompt à acquiescer aux vérités énoncées par ses deux patrons, mais non sans prendre un malin plaisir à pointer leurs incohérences ou à faire partager ses vues en quelques phrases souvent décalées, toujours très inspirées.
Yes Minister constitue une brillante satire politique, dépeignant avec un cynisme ouvertement affiché et qui sonne pourtant toujours terriblement juste les problamétiques auxquelles est confronté quotidiennement le cabinet ministériel. De la gestion de la presse à la tentative de mise en place de grandes politiques de réformes, tout y est traité, avec un don certain pour l'autodérision et des piques qui font toujours mouche. Parmi les moments les plus savoureux, figurent les quasi-monologues de Humphrey. Il y expose notamment sa vision du travail de ministre, cantonné à la fonction d'assurer les financements du département et à leur défense au Parlement. Ces discours sont de véritables pépites d'humour noir. La série s'amuse aussi beaucoup dans la mise en scène du "langage de l'administration", vaste force d'inertie à lui tout seul, proprement incompréhensible hormis par celui qui l'énonce.
Outre l'utilisation d'un comique de situation exploité sans excès, la richesse de la sitcom réside donc principalement dans ses dialogues regorgent de jeux de mots, tour à tour improbables, inattendus ou paraissant comme une évidence. Alternant ces différents types d'humour, les scénaristes tombent souvent juste, tant dans la comédie que dans la justesse du tableau politique dressé.
Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager quelques lignes de dialogues, issues de la saison 1 de Yes Minister que j'ai revue il y a peu :Jim Hacker: What's the différence ?
Bernard: Well, "under consideration" means "we've lost the file" ; "under active consideration" means "we're trying to find it".
(1.02, The Official Visit)
Sir Humphrey : Politicians like to panic. They need activity. It's their substitute for achievement. We must just ensure that it doesn't change anything.
(1.03, The Economy Drive)
Sir Humphrey: The public doesn’t know anything about wasting government money, we're the experts.
(1.03, The Economy Drive)
Jim Hacker: The opposition aren't the opposition.
Annie Hacker: No of course not, silly of me. They are just called the opposition.
Jim Hacker: They are only the opposition in exile. The Civil Service is the opposition in residence.
(1.04, Big Brother)
Jumbo: We should never let Ministers get so deeply involved. Once they start writing the draft, the next thing we know they'll be dictating policy.
(1.05, The Writing on the Wall)
Jim Hacker: Humphrey, do you see it as part of your job to help Ministers make fools of themselves?
Sir Humphrey: Well, I never met one that needed any help.
(1.06, The Right to know)
Sir Humphrey: Bernard, Ministers should never know more than they need to know. Then they can't tell anyone. Like secret agents, they could be captured and tortured.
Bernard: You mean by terrorists?
Sir Humphrey: By the BBC, Bernard.
(1.07, Jobs for the Boy)
Et, en bonus, voici un petit extrait vidéo, avec une des scènes cultes, issue de Yes Prime Minister : la classification des lecteurs des différents journaux anglais par Hacker (et la chute finale par Bernard) :
Les dialogues de cette analyse "sociologique" :
Hacker: Don't tell me about the press. I know exactly who reads the papers. The Daily Mirror is read by people who think they run the country ; The Guardian is read by people who think they ought to run the country ; The Times is read by the people who actually do run the country ; The Daily Mail is read by the wives of the people who run the country ; The Financial Times is read by people who own the country ; The Morning Star is read by people who think the country ought to be run by another country ; And The Daily Telegraph is read by people who think it is.Sir Humphrey: Prime Minister, what about the people who read The Sun?
Bernard: Sun readers don't care who runs the country, as long as she's got big tits.
Bilan : Yes Minister est un petit bijou d'humour, dispensé avec un flegme tout britannique parfait pour la circonstance. C'est une satire politique intemporelle, aux dialogues savamment ciselés et distillés. Si ses débuts datent d'il y a presque 30 ans, il est surprenant de constater pourtant que la plupart des thématiques traitées ont encore une actualité aujourd'hui : de la construction européenne jusqu'à la réduction des dépenses publiques, en passant par le serpent de mer de la réforme de l'administration, tout y est.
Il s'agit sans conteste d'une de mes comédies britanniques favorites. Une grande série à mettre entre toutes les mains.
NOTE : 9/10