Il faisait très chaud, dans la salle bondée et mal aérée du Vieux-Colombier, pour la première de Les affaires sont les affaires, adaptée d'Octave Mirbeau par Marc Paquien. Plus de cent ans après la création de la pièce et sa première représentation, le 20 avril 1903, à la Comédie Française (qui suscita une phénoménale bataille rangée ardemment souhaitée par Mirbeau lui-même), il était intéressant de savoir ce qu'un metteur en scène en retiendrait aujourd'hui, et surtout ce qu'il ferait d'un sujet aux résonances si actuelles.
Vous voyez JR Ewing ? Bernard Tapie ? tel ou tel auxiliaire agioteur du sarkozysme neuilléen ? Eh bien, considérez Isidore Lechat : il est leur précurseur, leur moule, leur étalon - leur prophète. Un de ces hommes qui, comme lui, crient "Vive le peuple !", qui, même, peuvent malignement prendre la pose du socialisme, mais n'ont d'autre but dans l'existence que d'accumuler et faire fructifier leurs fortunes. Un cynique, donc, un avide qu'enthousiasment les promesses de la modernité scientifique, industrielle, financière, capitaliste et démocratique. Un capitaine d'industrie exubérant, matérialiste en diable, excité comme un gamin devant la naissance de l'agronomie, aussi frénétique qu'Harpagon devant sa chère cassette. Quelque chose d'un maître du monde - ce qui lui permet de régner sur le sien avec toute l'autorité et la goujaterie que lui confère le pouvoir de l'argent. Qu'un tel portrait vitriolé suscite une levée de bouclier en 1903, on peut l'imaginer ; désormais, sa très concrète actualité, son réalisme, suscite tout au plus un haussement d'épaule railleur : après tout, on les connaît bien, ces gens-là, ils sont au Fouquet's, dans le gouvernement ou les affaires.
Ma réserve tient donc essentiellement à la mise en scène - à l'instar de ce que peuvent en écrire Nathalie Simon, mais aussi Armelle Héliot, dans Le Figaro). Je répète que je comprends bien, et partage, l'intention de Marc Paquien ("inventer un monde imaginaire qui puisse se rapprocher de nous"). Mon problème est que je n'ai guère perçu l'imaginaire, mais seulement l'ultra-contemporanéité du propos. Et il me semble que cela tient à l'épure un peu maladroite de la mise en scène, dont le minimalisme renvoie aux codes de notre temps ; or le minimalisme n'induit en soi ni l'atemporalité, ni l'universalité. S'ajoute à cela le jeu un peu outrancier de Françoise Gillard (qui tient le rôle de Germaine, la fille-adolescente-rebelle d'Isidore Lechat) et excessivement zazou de Clément Hervieu-Léger (le fils), que l'on croirait tout droit sorti d'un café Costes (mais on me dira que c'était peut-être volontaire.) Dommage, donc. On peut toutefois faire le déplacement, pour Gérard Giroudon. Et pour ce plaisir toujours jouissif de rire aux dépends des autres, quand ils croient gouverner le monde du seul fait de leur naissance et de leur heureuse fortune.
Les affaires sont les affaires, d'Octave Mirbeau - Mise en scène de Marc Paquien - Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6ème - Jusqu'au 3 janvier 2010.