Mardi soir, un peu plus de 23heures, il y a deux ans. Patrick Sébastien est à la télé pour présenter son livre. Je veux le lire. C’est sûr, dès demain je l’achète. Enfin, quand je dis je l’achète, je veux dire je le commande. Chez mon libraire. Parce qu’ici sur mon île, nous n’avons pas tous les livres dont on entend parler. Et celui-là, je veux le lire. Absolument!…
…Cà y est, je l’ai lu. En un week-end. Je ne m’attendais pas à çà. Ou peut-être si?! C’est pour cela que je voulais le lire.
Je vais te dire « tu » à toi qui le liras peut-être un jour ou qui l’as peut-être déjà lu aussi. « Putain d’audience », ce livre qui ne sera jamais un « Goncourt ». Ce livre qui se lit comme un roman de gare. L’un de ceux que l’on oublie sur une étagère et que l’on redécouvre le jour d’un peut-être déménagement.
En le lisant, j’ai pleuré. Ne ris pas avant de savoir pourquoi. Lis, continues et tu comprendras, je n’en doute pas. Mais je veux te rassurer, je n’ai pas pleuré comme une madeleine. J’ai pleuré comme un gamin qui a mal au ventre. Pleuré comme quelqu’un qui se regarde dans un miroir et ne se reconnaît pas. Quelqu’un qui se dit qu’il n’y a pas d’endroit pour lui et que personne ne le comprend. J’ai pleuré. A la réflexion, si! J’ai pleuré comme une madeleine, de celle d’un Brel, déchiré par le mal de vie en coulisses ou sur scène.
Toi aussi, tu t’es déjà regardé dans le miroir et toi aussi, il t’est arrivé de pleurer. Ne dis pas « non », tu mentirais, tu te mentirais. Tout le monde pleure…au moins une fois. Une fois de trop. Il y a toujours une fois de trop. Cette fois de trop, pour Patrick, je ne sais pas quand elle est arrivée. Je ne le connais pas vraiment. A la télé, on ne connaît pas les gens. Je croyais le connaître, c’est mieux encore. C’est lui qui m’a reconnu. Et ce livre que je voulais lire, que j’ai lu, il est écrit pour moi.
C’est un amuseur public, privé parfois lorsqu’il s’adonne à faire rire, lorsqu’il se donne à son public d’amis. Mais cela, je l’imagine. Il le dit, il en parle mais ne dévoile rien. Ce rien qu’il dévoile, qu’il dénude, c’est tout. C’est lui, entier, un et indivisible. Et c’est ce qu’il écrit que je traduis. Ce qu’il a écrit, je le savais par avance mais il le dit mieux que moi. C’est pourtant ce que je vais te confier. A toi qui ne sais que ce que tu veux savoir et rien d’autre qui bouleverserait ta vie.
Au tout début,
C’était il y a longtemps. C’est toujours il y a longtemps. Je ne sais pas si tu as remarqué; dans les livres, il y a toujours cette notion de temps. Il était une fois…au présent, à l’imparfait. Tiens! un imparfait qui se veut présent pour un meilleur futur. Je sais, c’est loin d’être du Devos mais c’est là. D’être là, çà en vaut peut-être déjà la peine.
C’était il y a longtemps, te disais-je. Il y a plus de trente ans. Le temps passe et passe trop vite. Mon Dieu, que la journée fut longue. Plus tard, dans dix, vingt ans, tu regretteras qu’elle n’ait pas été plus longue encore. C’était il y a longtemps dans un petit appartement de banlieue.
L’ami de mon père, le mari d’une amie de ma mère frappe à la porte. Nous sommes à table.
-Je peux voir Bruno? (c’est comme çà que je me prénomme)
Tout a commencé comme çà. Une question sans réelle importance. De celles que l’on pose chaque jour sans y prêter véritablement attention. Attention! Il y a des questions auxquelles il ne faudrait jamais répondre. Je suis là. Bien sûr. Du haut de mes dix-sept ans dans la salle à manger au papier à fleurs. Papier qui recouvre les murs mais pas la misère. Je m’égare, me laisse emporter. La misère, on ne la connaît pas. Ni ma soeur, ni moi. Mais je sais qu’elle existe. Elle trône. Là, dans la pièce. J’ignore alors que je l’appellerai ainsi. « Bruno, ne vas pas trop vite!!! »
Oui, j’étais là et le lendemain, je tourne. Tu ne comprends pas? Attends! Il y a Alain Delon, Nicole Calfan – madame, que vous êtes belle dans mon souvenir de vieil adolescent!- Il y a Raymond Bussières et d’autres dont j’ignore le nom. Et puis, l’ami de mon père, tu sais, le mari de l’amie de ma mère. Tu comprends mieux à présent? Enfin, quand je dis à présent, c’était hier, même avant-hier. Des souvenirs qui s’entrechoquent, s’entremêlent comme tous les souvenirs.
Et c’est pour çà que je voulais le lire le livre de Patrick. Parce que, lui, il a tout…et moi? Rien. Depuis ce jour-là! Depuis que mon père a répondu que j’étais là. Quand je dis que Patrick Sébastien a tout, j’en doute cependant. J’ai lu le livre et il n’a pas tout; cela se sent, se transpire, page après page, ligne après ligne, mot à mot. Sans fard, sans maquillage. Nez rouge sur une bille ronde marquée des rides du temps qui a passé. Ce temps qui coule comme le sang dans les veines. Pourtant de la veine, il en a eu. Il en a encore de faire ce métier. Ce métier que moi, MOI!, je voulais faire. Que je veux faire. Que je ferai, ici ou ailleurs, dans une autre vie. « Vis le présent sans te soucier de rien et surtout pas du futur », la phrase qui ne veut rien dire. Celle qui fait que tu te sens impuissant et incompris. La phrase qui te fait penser que tu es seul au monde parce que toi, tu vis pour demain. Ce demain que tu veux chantant.
Le cinéma, c’est de cela dont je te parles, là! Je fais du cinéma. Non, non, pas le mien! Le vrai. Celui des claps, des « moteur! », des « silence, on tourne! ». Ma première feuille de salaire, je l’ai encore comme une relique. Comme les mèches blondes qu’une mère garde précieusement dans une boîte en métal à la décoration douteuse. Comme d’autres conservent, enfermés à jamais et mort, leur premier trèfle à quatre feuilles. Pour pouvoir se dire, un jour en se retournant, « tu te souviens? »
Oui, je me souviens. C’était…c’était quand déjà? Je ne m’en souviens plus mais c’était il y a longtemps.
Forêt de Fontainebleau, une histoire de méchants, « Le Gang ». Du cinéma. Moi, j’ai dix-sept ans. Tout a commencé là. Parce que l’ami de mon père cherchait un figurant.
Non! Figurant, ce n’est pas politiquement correct, il faut dire « acteur de complément ». Tu parles! Politiquement correct. Comme si la technicienne de surface avait troqué sa blouse contre une jupe et un tailleur Chanel. Comme si les gens de couleur n’en avaient pas, de couleur. Se donner bonne conscience. Voilà le mot. On compatit et l’on rentre chez soi. « Bruno, tu t’égares! »
Bon, je reviens à nos moutons. Ils ont vieilli. Tu parles! C’était il y a plus de trente ans.
Une journée, une seule, un mercredi. Trois ou quatre heures à attendre que l’on te place sur le chemin, derrière l’arbre, à l’entrée d’une route. Alain Delon passe en voiture et toi, tu le regardes passer. Comme si de rien n’était.
-C’est bon, tu as compris?-,
-oui, madame-.
-Allez, on y va. C’est à toi. Surtout, tu ne regardes pas la caméra. Allez, bouges!-
Je me mets là où elle m’a dit. J’ai l’impression de jouer ma vie, ma tête.
« Silence, on tourne! » Tout va vite. « Coupez! ». Cà veut dire quoi? J’ai merdé quelque part? Je n’étais pas bon? Non, çà veut dire que c’est fini. Salut. Je serai payé en fin de journée. Joli mercredi que ce mercredi ensoleillé.
C’est comme çà que tout a commencé et c’est pourquoi je voulais le lire ce livre. « Putain d’audience », pour te rappeler le titre. Combien l’auront acheté, je n’en sais fichtre rien. Ce qui m’importe, c’est de l’avoir lu. Dévoré, dis-tu? T’en connais beaucoup des gens qui dévorent un bouquin. Moi, je l’ai lu, c’est tout. Y a quand même de ces expressions, non?!
Oui sans te mentir, joli mercredi que ce mercredi là!
La suite, la semaine prochaine…