Les outils trainaient dans le jardin, près de la maison, au loin il n’y avait rien à part quelques champs, beaucoup de verdures, et une petite route. Il se tenait devant le perron de la porte, les bras à l’air il sentait le vent s’engouffrer dans son t-shirt noir plein de terre. Le souffle et le soleil couchant cadraient une atmosphère claire-obscure qui lui procurait un sentiment de plénitude comme il n’en avait pas ressenti depuis longtemps. « Sometimes I Wish We Were An Eagle » de Bill Callahan tournait alors sur un vieux poste qu’il avait gardé de son ancienne vie.
Il avait passé plus de trente ans à dire des « Je dois » et enfin il commençait à peine à exprimer un « je veux ». Il avait commencé par réussir les études qu’il devait suivre, avoir le travail qu’il devait exercer, rencontrer ensuite la femme avec qui il devait vivre, avoir des enfants qu’il devait élever, avoir une maison dans laquelle il devait habiter, des amis qu’il devait avoir, des activités qu’il devait faire pour avoir des relations. Tout ça il était en train de se le remémorer en même temps qu’il écoutait Jim Cain ... C’est le titre qui l’avait attiré, lorsqu’il acheta ce disque avec un certain sentiment de curiosité, ce titre évoquait comme une sorte de liberté qu’il avait l’impression de n’avoir jamais eu. Il pouvait entendre dans les paroles de Jim Cain comme un écho à sa vie : « I used to be darker/then I got lighter/then dark again ».
Il se souvenait que plus jeune sa vie était différente, plus incertaine mais plus belle. Puis vint le confort et sa cohorte de choses ennuyeuses qu’il avait endurées pendant des années. Puis un jour il avait choisi de laisser tomber tout ça et de repartir à zéro. La voix grave et classe de Bill Callahan clamant que « Love is the king of the beast, and when it gets hungry it must kill to eat » sur Eid Ma Clack Shaw lui avait ouvert les yeux. Comment ce folk-là avait pu lui redonner un peu de passion dans cette vie trop morne, il l’ignore encore ?… Toujours est-il que là maintenant, c’était la pénombre, et il écoutait Too Many Birds, où la guitare folk, le piano et la voix chaude de Bill Callahan venaient l’appaiser après sa journée de labeur. Bill chantait avec une certaine classe « If You could stop your heartbeat for one heartbeat » et il se disait qu’au milieu de ce calme tout pouvait effectivement s’arrêter, au beau milieu des violons de ce morceaux qu’il trouvait superbe.
C’est en écoutant Faith / Void qu’il avait prit la décision de tout plaquer. Il avait alors laissé un mot à sa femme et ses trois enfants, où il leur disait que pour la première fois de sa vie, il avait fait un choix. Il leur avait écrit qu’il avait quitté son travail, qu’à partir de maintenant il allait disparaître à jamais, ce n’était pas la peine de le retrouver. Le lendemain il n’était plus là …
Par Mathieu
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