Le lithium en Bolivie : quels enjeux stratégiques ?

Publié le 25 novembre 2009 par Infoguerre

Selon l’étude du Meridian International Research, publiée le 28 Mai 2008, 70% des ressources mondiales de lithium seraient regroupées en Amérique Latine, et plus précisément dans la région transfrontalière de l’Argentine, le Chili et la Bolivie. Le lithium est extrait des « salars » ou déserts de sel : le Salar d’Atacama au Chili, le Salar del Hombre Muerto en Argentine et  le Salar d’Uyuni en Bolivie. Ce dernier contiendrait à lui seul 40% des ressources mondiales, il représente de ce fait le plus gros gisement de Lithium au monde.

Cet élément, surtout utilisé pour sa capacité de stockage d’énergie,  va devenir la base de certaines technologies de demain. En effet, les batteries Li-ion des voitures électriques seront essentiellement composées de lithium et les experts attendent une croissance de la demande de lithium de 25% par an. De plus, les nouvelles technologies nucléaires utiliseront elles aussi ce métal. Il est alors clair que, dans notre contexte de développement des substituts au pétrole, le lithium va avoir un rôle stratégique et dans une certaine mesure redessiner la carte géostratégique mondiale.

Il faut aussi prendre en compte le fait que les capacités mondiales d’extraction du lithium, pour son utilisation dans l’automobile mais aussi dans les batteries d’ordinateurs portables, sont largement inférieures à la demande mondiale et ne permettront donc pas d’assouvir cette demande croissante. Le cabinet français Meridian International Research, toujours dans son étude sur le lithium, met en garde : "Les augmentations réalistes de production du lithium ne permettront pas de satisfaire une révolution de la propulsion automobile dans la prochaine décennie. (…) Dans le scénario le plus optimiste, elles ne pourraient fournir que 8 millions de véhicules hybrides du type GM Volt.» Alors que la demande mondiale de voiture essence pour 2008 était de 60 millions de véhicules…

Pour information, en 2003 le prix de la tonne de lithium s’élevait à 300$ alors qu’en 2008, celui-ci s’élève à 3 000$ la tonne grâce aux mécanismes de spéculation. Récemment, la Bolivie a nationalisé ses ressources naturelles par voie constitutionnelle. Cette nouvelle constitution, approuvée par référendum le 25 Janvier 2009, établit que les ressources naturelles seront considérées comme « propriété du peuple bolivien » et seront administrées « en fonction de l’intérêt collectif.» La position du chef de l’Etat bolivien, Evo Morales, est très ferme à ce sujet : «Cette activité doit servir l'industrialisation du pays. Il faut que se développe autour de l'extraction du lithium une vraie filière industrielle de construction de batteries et de voitures électriques.» Cela signifie donc que les entreprises, souhaitant exploiter le lithium bolivien, ne pourront le faire que sous le contrôle et la direction de l’Etat bolivien (activités de prospection, exploitation, industrialisation, transport et commercialisation des ressources stratégiques).

Il s’en dégage donc une véritable volonté de contrôle de cette ressource stratégique qui s’explique par les « pillages » que le pays a pu connaître vis-à-vis de ses ressources naturelles depuis le 15ème siècle. Les entreprises qui souhaiteront jouir du lithium bolivien vont devoir s’adapter au mieux aux conditions qui leurs sont imposées pour s’attirer les faveurs du gouvernement. Outre l’exportation du lithium, l’Etat espère des transferts de technologies de la part des entreprises intéressées, comme l'’explique un expert de la COMIBOL (la Corporacion Mineria de Bolivia) : « Pour construire des batteries, la Bolivie a absolument besoin de la technologie d'une entreprise comme Bolloré. Comme Bolloré a absolument besoin de notre lithium pour construire ses batteries…». En attendant, la Bolivie a déjà investi 6 millions de dollars dans la construction d’une usine pilote en attendant que les procédés de transformation soient au point. Mais ce n’est qu’un début car une usine de production nécessite à elle seule un investissement d’au moins 300 millions d’euros, sans compter les investissements liés aux autres structures dues à l’exploitation de ce métal (par exemple, les usines de retraitement de la saumure)

La « guerre du lithium bolivien » rassemble quelques grands industriels présents sur la scène internationale : Bolloré (France, qui aurait les faveurs du président Morales), Sumitomo et Mitsubishi (Japon), LG (Corée du Sud) et Vale (Brésil). L’Etat bolivien demanderait un investissement, de la part de ces entreprises, de 545 millions d’euros…

La Bolivie, détenant plus du tiers des ressources mondiales en lithium (qui restent pour l’instant inexploitées), pourra donc occuper la place de régulateur de flux si l’explosion de la demande de lithium prévue en 2015 a bien lieu. Ce produit deviendrait donc une arme d’influence pour la Bolivie d’une part, mais qui profiterait aussi à tout le continent Sud Américain. En effet, si on ne s’en tient qu’au lithium, nous pouvons observer des politiques d’accroissement de la puissance de cette région du monde. Quelques exemples : le projet de création d’un Institut du Lithium proposé par le Chili, les taxes à l’exportation des minerais pratiquées par l’Argentine (10%), le CNEN au Brésil qui est un organisme de contrôle des importations, exportions, commercialisation, industrialisation et production de minerais, mais aussi une entente des pays d’Amérique du Sud pour baisser les exportations afin de concentrer un maximum de ressources à la consommation nationale.

L’alignement des pays par les liens qui unissent leurs leaders et l’adhésion de ces pays à des organisations supranationales communes (UNASUR : regroupe la Communauté Andine, le Mercosur, le Chili, la Guyane et le Suriname), témoignent du fait que nous assistons à la naissance d’un bloc pour contrer l’influence, mais aussi l’ingérence, des Etats-Unis dans les systèmes politiques et économiques des pays sud américains. En plus de cette barrière d’influence, nous pourrions voir l’apparition d’un véritable lobby du lithium comme nous pouvons déjà l’observer pour le pétrole avec l’OPEP, car rappelons le : l’Amérique du Sud détient 70% des ressources mondiales en lithium ! Le Chili est le plus grand producteur mondial de lithium avec une part de 39%. Si on ajoute le fait que les gisements de lithium de la Chine (deuxième producteur mondial) sont quasiment inaccessibles pour les étrangers. En effet, le contexte politique très incertain du Tibet (sites d’extraction du lithium chinois) décourage les investissements étrangers qui préfèrent se tourner vers le continent Sud Américain.  
 

Kévin Tavernier