De Michel Ouimet
Malalai Joya n'a pas changé. Minuscule - elle mesure à peine cinq pieds -, yeux de braise, longs cheveux noirs. Sous son apparence délicate se cache une femme au caractère trempé comme l'acier. Elle n'a peur de rien. Elle tient tête aux redoutables seigneurs de la guerre qu'elle traite de criminels. Elle crache son mépris pour ces hommes qui ont mis son pays, l'Afghanistan, à feu et à sang et qui, aujourd'hui, se pavanent à côté du président Hamid Karzaï avec la bénédiction des Occidentaux et du Canada.
Elle répète ses accusations sur toutes les tribunes, même si les seigneurs de la guerre et de la drogue essaient de l'assassiner. Elle a échappé à cinq tentatives de meurtre. Et elle n'a que 31 ans.
Un livre coup-de-poing qui commence par cette phrase: «Je viens d'un pays marqué par la tragédie, l'Afghanistan.» Un livre qui dénonce et dérange. Un livre écrit sans fioritures où un chat est un chat, un seigneur de la guerre un criminel et Hamid Karzaï et les Occidentaux, des complices de ces criminels.
Elle y décrit aussi sa naissance dans la province reculée de Farah, l'exil de sa famille qui a fui l'occupation soviétique, son errance dans des camps de réfugiés en Iran et au Pakistan, son retour en Afghanistan sous les talibans, son élection au Parlement en 2005, suivie, 18 mois plus tard, par son expulsion. À travers son histoire, c'est la souffrance de son peuple qui est douloureusement étalée page après page. Un livre crève-coeur.
Malalai Joya parle toujours aussi vite et avec le même accent anglais à couper au couteau. Elle enchaîne les phrases qu'elle mitraille avec brutalité et intensité, d'une voix éraillée par la fatigue. Elle oublie de tremper ses lèvres dans son thé, qui refroidit sur la table de sa chambre d'hôtel.
Malalai Joya parlait aussi vite, sans reprendre son souffle et sans toucher à son thé trop sucré. Elle venait d'être expulsée du Parlement par les seigneurs de la guerre. Elle les avait accusés d'être des criminels, d'avoir saccagé Kaboul pendant la guerre civile qui s'est déroulée de 1992 à 1996 et où 65 000 civils ont été massacrés, de tremper dans le commerce de la drogue et d'être corrompus.
Malalai Joya était scandalisée. Au cours d'une entrevue à la télévision afghane, elle a dit que le Parlement était un zoo, une étable. «Pire qu'un zoo, a-t-elle ajouté, car au moins les vaches sont utiles et donnent du lait, les ânes transportent des poids et les chiens sont fidèles. Les parlementaires sont des dragons.»
Ses accusations sont sérieuses et solidement documentées. «Pendant la guerre civile, dit-elle, les hommes de Dostom, Sayyaf et Fahim ont pillé Kaboul et violé des femmes. Près de 90% de la ville a été détruite. Aujourd'hui, ils sont avec Karzaï. Ismaël Khan aussi a participé aux exactions. Il a été promu ministre responsable de l'eau et de l'électricité. Et le frère de Karzaï? Il trempe dans le commerce de la drogue à Kandahar.»
Le principal adversaire de Karzaï aux élections présidentielles, Abdullah Abdullah, n'est guère mieux. «Lui aussi a du sang sur les mains», tranche-t-elle.
Elle dénonce la corruption qui est alimentée par les milliards de la communauté internationale et qui transite par des ONG. Les warlords, les druglords, les ONGlords, la sainte trinité de la corruption.
En janvier 2007, Karzaï a nommé Izzatullah Wasifi à la tête d'un comité de lutte contre la corruption. Le problème, c'est que Wasifi est un trafiquant de drogue qui a passé quatre ans dans une prison américaine parce qu'il vendait de l'héroïne. Et qu'ont dit les Occidentaux? Rien.
Mais tout le monde ferme les yeux. Tous, sauf Malalai Joya et quelques Afghans courageux qui osent parler haut et fort.
Malalai Joya dérange. Ce n'est pas pour rien que les seigneurs de la guerre essaient de la liquider. Si, un jour, ils réussissent, le Canada et les Occidentaux auront sa mort sur la conscience.
* A Woman Among Warlords. The Extraordinary Story of an Afghan Who Dared to Raise Her Voice, 2009.
Source La Presse
LE CANADA SOUTIENT-IL LES SEIGNEURS DE GUERRE ?
Voir le discours de Malalai Joya prononcé en 2006 paru sur le site Grand Soir