C’est par une bataille de boules de neige que les promoteurs d’Ariane célébraient le succès du premier tir de la fusée, la veille de Noël 1979, à Kourou. Non pas qu’il ait neigé, mais l’hydrogène et l’oxygène liquides échappés des purges de trop-plein des réservoirs de la fusée avaient, en se détendant, condensé l’humidité de l’air en neige immaculée !
L’anecdote, racontée dans notre hors-série de 1999 par les acteurs de cette scène, illustre comment ceux qui devinrent plus tard ministre, PDG et hauts responsables du secteur spatial, évacuèrent neuf jours de tension extrême après avoir vu enfin la fusée européenne s’élever dans le ciel de Guyane…
C’était il y a trente ans et, en cette année 2009 marquée par les anniversaires symboliques
— premières observations de Galilée dans une lunette, marche de l’homme à la surface de la Lune, chute du mur de Berlin —, nous avons pensé que l’aventure qui conduisit
l’Europe à disposer de son propre moyen d’accès à l’espace valait bien d’être rappelée.
D’autant qu’il y a quelques jours, et toujours sous la neige, naturelle celle-là, des
premiers frimas de l’hiver russe, deux fusées Soyouz embarquaient sur un navire-roulier dans le port de Saint Pétersbourg, direction… Kourou ! Pour la première fois, la plus
célèbre des fusées soviétiques, qui permit à Spoutnik et à Gagarine de s’élever au-dessus des frontières et qui fut lancée avec succès 1 749 fois (à l’heure où nous écrivons ces
lignes), quittait la Russie pour rejoindre fin novembre le port spatial européen installé près de l’équateur.
Si tout se passe bien, dans le courant du second trimestre 2010, nous devrions assister au premier lancement commercial (1) de la fusée légendaire, depuis le nouveau pas de tir Soyouz de Sinamary. Et parions que l’on aura encore besoin de neige et de glace pour refroidir la vodka en célébrant ce premier succès…
Au moment où la Nasa s’interroge sur la suite à donner au premier test de son futur lanceur Arès 1, et attend une feuille de route claire en provenance de la Maison-Blanche, la nouvelle donne européenne — dont l’objectif est de proposer une “panoplie de lanceurs” adaptés à tous les besoins — confirme qu’en matière de technologie spatiale les innovations ne sont pas un destin inéluctable. Et l’exemple du Soyouz, né missile stratégique en plein cœur de la guerre froide, puis promu lanceur le plus économique et le plus fiable du marché en ce début du XXIe siècle, est là pour nous le rappeler. Même si, dans les coulisses, les débats sont vifs. Figer une technologie n’est pas une affaire anodine. On perd le savoir-faire des hommes, l’expérience… Qui coûtent toujours beaucoup plus cher qu’on ne le pensait. Bref, imaginer un programme technologique à l’horizon du quart ou du demi-siècle est loin d’être simple.
Et aujourd’hui, l’image d’une bataille de boules de neige à l’équateur nous rappelle qu’un petit brin de folie est encore l’ingrédient de toute aventure humaine.
Alain Cirou
Directeur de la rédaction
(1) L’exploitation commerciale de Soyouz est assurée par Arianespace, dont le client pour ce premier tir est Hylas.
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