Le débat est sur la place publique depuis quelques semaines déjà. Par voie d’amendement au projet de loi de finances pour 2010, certains députés entendent soumettre à l’impôt sur le revenu les indemnités journalières versées pendant les 28 premiers jours de l’interruption de leur activité professionnelle aux accidentés du travail. Leur argumentation est spécieuse, fondée sur une prétendue discrimination au regard des mères de famille ou des salariés dont le contrat est suspendu pour une maladie non professionnelle et pour lesquelles les indemnités versées par l’assurance maladie sont, elles, imposables sur le revenu.
Le salarié accidenté est d’abord une victime
A ces députés soucieux d’équité, rappelons quelques données juridiques. Le salarié auquel sont versées ces indemnités journalières est, selon la terminologie traditionnelle, « VICTIME » d’un accident du travail.
La cause de cet accident ? La violation, même non intentionnelle, par l’employeur, de son obligation de sécurité de résultat telle qu’elle résulte du Code du travail et de la jurisprudence. C’est bien parce qu’il ya un dommage, causé par la faute de l’employeur, que la victime de l’accident du travail est indemnisée par un régime d’assurance sociale sans qu’il soit pour autant nécessaire de rapporter la preuve de cette faute.
Cette indemnisation automatique et forfaitaire a un coût pour le salarié : d’une part, le renoncement à poursuivre l’employeur, sauf faute inexcusable de ce dernier ; d’autre part, l’indemnisation partielle de son préjudice contrairement au principe de droit commun de la réparation intégrale du préjudice de la victime.
La non-imposition des sommes versées, dont la nature de dommages et intérêts est, à l’évidence, difficilement discutable, vient atténuer cette rigueur. En débattre, nous parait inconcevable et dangereux.
La remise en cause de notre pacte social
L’équilibre subtil trouvé en 1898, lors de la mise en place de l’assurance accident du travail, a perduré au fil des ans, dans un consensus général. Aussi, contester la règle communément admise par tous conduit à remettre en cause le pacte social qui constitue le fondement même de ce régime d’assurance.
Si une telle proposition devait prospérer devant le Sénat, quel avenir réserver au régime actuel d’indemnisation des victimes d’accidents du travail ? Doit-on tout simplement le supprimer et renvoyer salariés et employeurs devant le juge civil, à charge pour celui-ci de déterminer les responsabilités et d’indemniser la victime de son entier préjudice ? Notons que dans cette éventualité ces indemnités échapperaient, par définition, à l’impôt sur le revenu… Doit-on, au contraire, réformer le système et admettre que, en contrepartie de la fiscalisation des indemnités journalières, l’assurance accident du travail répare l’intégralité du préjudice du salarié, faisant supporter ce surcoût aux entreprises ?
Aucune de ces solutions ne paraît satisfaisante et le statu quo semble, en la matière, salutaire. C’est tout le sens de l’avis transmis par la CCIP au Conseil économique, social et environnemental. Ce dernier s’est d’ailleurs déclaré opposé à cette évolution, à l’unisson des syndicats et des organisations patronales. En la circonstance, cette unanimité est symptomatique, à tout le moins, de l’inopportunité de la proposition parlementaire.
Et les déficits budgétaires ?
Certes, on nous répondra que réduire les déficits publics suppose des mesures d’économie drastiques et que celle proposée ferait entrer 150 millions d’euros dans les caisses de l’Etat. Soit ! Mais, comparativement, rappelons que les niches fiscales grèvent chaque année le budget de l’Etat de 70 milliards d’euros, l’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires coûtant, à elle seule, 4 milliards d’euros sans que personne ne s’interroge sur l’équité de cette mesure …