- Je ne pense pas. Je me pose des questions.
- Lesquelles, de questions ?
- Pffffff ..
- A ce point ?
- Oui.
- Mais, par exemple …
- Eh bien, par exemple, je me demande si j’ai, à un moment, ou à un autre, cultivé la haine de moi.
- “Cultivé”, dis-tu ?
- Oui.
- Tu ne trouves pas que le terme est un peu fort ?
- Il n’est pas de moi.
- De qui est-il ?
- De Nicolas Sarkozy ..
- Qui est Nicolas Sarkozy ?
- Je ne sais pas. Personne ne sait.
- Dans Wikipedia, ils disent qu’il est président de la République française.
- Parfois, Wikipedia se trompe.
- Sans doute. Mais là, comme erreur, ce serait énorme.
- Plus c’est énorme, plus ça passe !
- C’est pas Jacques Chirac qui avait dit ça ?
- Si. Ou à peu près ..
[ … un ange déguisé en juge d’instruction passe … ]
- Et, tu as une réponse à cette question ? Je veux dire, as-tu réellement le sentiment d’avoir cultivé la haine de toi ?
- Oui … Enfin, il m’est arrivé, oui, de me haïr.
- Quand ?
- Quand, je ne sais pas exactement ! A certains moments. Tu sais, quand tu te traites de tous les noms parce que t’as agi comme un con, alors que tu savais pertinemment ce qu’il fallait faire et que tu ne l’as pas fait.
- Et, ça se cultive, "ça" ?
- Non. C’est un moment. C’est tout. C’est passager. Pénible, mais passager.
- Alors, si c’est aussi passager que tu le dis, pourquoi Nicolas Sarkozy parle-t-il de la culture de la haine de soi – à ton avis ?
- Je n’en sais rien. En même temps, avec lui, tout devient possible, non ?
- A condition d’être ensemble, oui … Mais … Une idée comme ça … Peut-être ne parle-t-il pas du “moi” ainsi que tu l’entends, mais d’autre chose …
- Ah oui ? … Et de quoi ?
- Il me semble – enfin, c’est une connaissance, un politologue pour ne rien te cacher, qui m’en a touché deux mots – qu’il parlerait plutôt de ton autre moi. Le pays qui t’habite. De la France, quoi ! Ainsi quand il évoque ceux qui “cultivent la haine de soi” il faudrait comprendre qu’ils cultivent, en réalité, la haine de leur pays ; ici, la France.
- Mais je ne suis pas mon pays !
- Peut-être voudrait-il que tu le sois. Que nous le soyons tous.
- Que nous ne formions plus qu’un, c’est ça ?
- Eh bien, c’est ce que l’on pourrait comprendre, oui.
- Mais c’est impossible !
- J’inclinerais à penser comme toi, mais ..
- Mais quoi ?
- … Mais dans la religion chrétienne, n’est-ce pas – et ce, dès notre première raie sur le côté - ce que l’on nous apprend : que nous ne formons qu’Un. Que c’est l’Amour qui fait que nous ne formons plus qu’Un. Ne sommes-nous pas, ami, mon frère, le sang et le corps du Christ ?
- Je crois que tu divagues copieux et prends Sarkozy pour un curé de terroir.
- Pour un curé, je ne sais pas, mais … Le discours auquel tu te références, qui – pardonnez-moi, mon Dieu ! - te turlupine et te pose questions, où l’a-t-il prononcé ?
- Dans le Vercors.
- Oui. Mais, plus précisément ?
- A la Chapelle-en-Vercors.
- Et dans Chapelle-en-Vercors, il y a ?
- Chapelle … Et … Tu penses que c’est fait exprès ?
- Je pense que Nicolas Sarkozy sait ce qu’il fait et d’où il le fait. Y a-t-il plus bel ou plus adéquat endroit qu’un village nommé Chapelle pour vanter "nos cathédrales, expression du génie français" ou rappeler "ce que notre morale laïque doit aux leçons de l’Église catholique" ..
- Oui, enfin, Chapelle-en-Vercors, c’est avant tout un haut lieu de la Résistance.
- C’est vrai. Mais rapporté à aujourd’hui, et puisque Nicolas Sarkozy l’a choisi, ce lieu, minutieusement, en connaissance de cause et pour servir cette cause, cela devient un lieu de résistance à quoi, à qui ?
- Je sais pas .. Je vais dire une connerie, je crois ..
- Dis-là .. Ce ne sera pas ta première ..
- Comme tu es charitable … La burqa ?
- La burqa ! Voilà ! Voilà LE prétexte, LA connerie, justement, du moment. LE chiffon qu’on agite. Il y en eût d’autres .. Souviens-toi de ces musulmans qui égorgeaient des moutons dans leur appartement !
- Et pourquoi pas nos fils et nos compagnes pendant qu’on y est ?
- Ben oui, pourquoi pas ..
- Tu plaisantes, là, j’espère ..
- J’aimerais.
- Comment ça, t’aimerais ?
- Tu ne comprends donc pas ?
- Non.
- Mais enfin, c’est pourtant limpide. La France et l’Islam, ça va pas ensemble, et c’est depuis une chapelle qu’on te le dit. Tu comprends ? … C’est, te fait-on comprendre, le musulman qui cultiverait la haine de la France, "ce pays où la femme est libre". C’est lui qui menacerait notre identité "singulière et plurielle". C’est encore lui (et personne d’autre, n'est-ce pas ...) qui précipiterait le pays dans le "communautarisme". Voilà le message ! Voilà pourquoi identité nationale est très étroitement liée à immigration et intégration sur l’intitulé du ministère de monsieur Besson, ex-député PS de la Drôme - où git le Vercors - soit dit en passant. Voilà ce qu’il nous est donné à entendre … Quand bien même, on te ferait aussi passer l’idée que, un bon musulman, français et fier d’être auvergnat, c’est possible ! Il suffirait qu’il ne soit pas nombreux, et qu’il vive, mange et s’habille comme un chrétien.
- Comme un français, tu veux dire ?
- Décidément, tu ne comprends rien, ou ne veux pas comprendre. N’as-tu donc pas encore saisi que pour Nicolas Sarkozy, français, chrétien, c’est pareil – pour ne pas dire : kif-kif ! Ça ne fait qu’Un. C’est indivisible ! C’est NOTRE identité nationale. Et il n’y en a pas d’autre ! D’où la chapelle. D’où, depuis elle, l’appel à résister à tout ce qui la menace.
- Mais pourquoi proposer d’en débattre alors ?
[ ... un Judas de la Drôme passe ... ]
- Ça ne va pas ?
- Non. Pas très bien. Je crois que là, pour le coup, avec tout ce que tu viens de m’apprendre, j’ai la haine.
- Peut-être que celle-ci vaudrait la peine d’être cultivée. Non ?
- Ma foi …
[*] Comme Nicolas Sarkozy - ou Dieu - mon identité nationale me tutoie …