Vous pouvez le lire en français (Et que le vaste monde poursuive sa course folle, titre hilarant de grandiloquence, Belfond 2009) mais ce serait perdre 22€. En temps de crise, ce serait regrettable. McCann présente à travers les portraits croisés d'une série de personnes culturellement diversifiées un tableau de New York de 1974 à presque nos jours, où les traces d'un discours sur le New York d'aujourd'hui abondent. C'est le proverbial roman choral qui pue l'artifice à vingt mètres malgré la volonté de vraisemblance, qui s'avère une pure mascarade. Tout est forcé, jusque dans la recherche du petit détail poétique ou psychologique soi-disant bien vu, tout simplement pathétique. McCann étale sa recherche documentaire, et il a bien raison : c'est la seule façon de faire croire qu'il y a quelque chose d'authentique là-dedans. Daniyal Mueenudin – In other rooms, other wonders
Recueil de nouvelles interconnectées – il y a un homme qui lie entre eux tous les personnages. Autre version donc de la tactique chorale. L'ambition est ici de présenter l'ensemble de la société pakistanaise, du paysan au gosse de riche, en passant par le serviteur et l'industriel. Il faut admettre que Mueenudin fait montre d'une certaine qualité d'écriture et de composition dans une veine toute traditionnelle et qu'il parvient à montrer la variété sociale de son pays. On regrettera alors que cette variété ne ressort pas dans sa façon de narrer, ni d'ailleurs dans son ton : à des degrés divers, toutes les nouvelles finissent mal. Le Pakistan serait donc un pays perdu. On peut aussi déplorer l'impression qu'on a à la lecture que tout ici correspond au regard cliché de l'occidental éclairé (certains diront : heureusement qu'il ne s'agit pas de la vision du stratège US, mais nous ne nous contentons pas de si peu). Jayne Anne Phillips – Lark & Termite
Vous pouvez aussi le lire en français (chez Bourgois). Il s'agit sans doute du livre le mieux écrit et le mieux construit du lot. Moins connu par ici que McCann, c'est le deuxième poids-lourd de la liste (pas pour rien qu'elle est blurbée par trois véritables « stars » littéraires : Tim O'Brien, Alice Munro et Junot Diaz). C'est l'histoire de deux enfants (Termite, un gamin qui se déplace en chaise roulante et ne sait pas parler ; Lark, une jeune fille qui veut à la fois découvrir le monde et la vie de sa mère) qui vivent avec leur tante. La narration mélange quotidien (sur quatre jours) de cette étrange famille, retour sur la jeunesse de la tante et de la mère et (les meilleurs chapitres) les dernières heures du père de Termite, porté disparu lors de la guerre de Corée. Les pages coréennes sont de loin les meilleures, les plus vivaces, les plus fortes, les mieux composées. La part belle est pourtant laissée au duo Lark et Termite. Frappant, mais il n'a malheureusement pas eu sur moi l'impact qu'il aura eu sur d'autres lecteurs plus illustres (Diaz : « astounding feat of the imagination », O'Brien : « the best new novel I've read in the last five years »). Même sans être vraiment convaincu, il doit s'agir du favori. Marcel Theroux – Far North
Marcel n'est pas Alexander. Malheureusement. Son petit récit post-apocalyptique a son charme et c'est sans doute de toute la sélection le livre qui se lit avec le plus de plaisir (malheureusement, il s'agit du plaisir de qui veut passer le temps entre deux séries TV à ne pas manquer : la lecture bouche-trou, ça s'appelle). Theroux peut être salué pour certaines idées et options (son personnage principal est une femme), mais c'est un lâche : il n'a jamais le courage d'explorer les possibilités offertes par ces choix. Son roman est donc condamné à se convertir en une occasion manquée, un potentiel non exploré. Divertissant, Far North se lit bien. Mais ce n'est qu'un bouche-trou. Un bouche-trou. Et si un bouche-trou est le livre le plus satisfaisant des finalistes, tout est dit (bis). Bonnie Jo Campbell – American Salvage
Quand je suis arrivé à ce livre là, je me suis accroché à l'espoir que ce serait peut-être la petite merveille surprise, la wild card de la sélection, celle qui arrive jusqu'au bout alors qu'on ne l'attendait pas. American Salvage est un recueil de nouvelles parfaitement maîtrisées qui mettent en scène la vie d'une Amérique profonde qu'on connait, hormis les clichés, très, très mal en Europe. Ces histoires sont humaines, vivantes et composent un portrait qui, comme celui de Mueenudin, a tendance à être négatif, mais qui, cette fois-ci, a le grand mérite de ne pas laisser un arrière-goût moraliste. On ne sent pas, derrière ces récits, une volonté de dire autre chose que ce qui s'y déroule et d'orienter une lecture qui se voudrait engagée. C'est, au final, le seul livre auquel je n'aie rien à reprocher. Pour autant, ce n'est pas un grand moment de littérature. C'est intelligent et bien foutu et, cette année, c'est de ça qu'il faudra se contenter. Tout est donc dit (ter).