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Afghanistan, juin 2008 : les traces du réel

Publié le 24 novembre 2009 par Marc Lenot

Que peuvent faire deux jeunes photographes de guerre quand ils ne savent plus comment montrer la guerre, toujours les mêmes combats, les mêmes blessés, les mêmes horreurs ? Comment témoigner, comment représenter la violence, comment dire l’indicible ? Le tandem Adam Broomberg et Oliver Chanarin part en Afghanistan avec un régiment britannique au moment le plus meurtrier de cette guerre et ils n’emportent pas leur appareil photo, mais un rouleau de 50 mètres de papier photographique. Un petit film montre les pérégrinations de la boîte contenant ce rouleau de Londres à Kaboul, d’une base militaire à une autre, en tank, en hélicoptère et sur le dos des hommes, jusqu’à son retour à Londres, sans qu’à aucun moment le contenu de la boîte ne soit montré, comme un rituel sans but, une absurdité sans fin. Au lieu de photographier combats, parades et cadavres, nos deux lascars, de temps en temps, sortent du véhicule blindé qui les transporte et exposent pendant quelques secondes à la lumière une bande de sept mètres de papier photographique.
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C’est tout : une captation directe de la réalité, sans objectif, sans boîtier. Ce n’est pas un témoignage moins objectif, moins réel qu’une classique photo de guerre; c’est une vision autre qui nous laisse inquiets, désemparés, obtus. Deux de ces ‘clichés’ sont exposés chez Karsten Greve jusqu’au 7 janvier, deux compositions complètement abstraites, des traits de lumière et de couleur, l’une comme une onde de choc blanche pénétrant une masse sombre dans un éclaboussement rouge, l’autre toute en dentelles bleues et blanches : rien de reconnaissable, comme si le désastre n’était pas montrable (The day nobody died).

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Ces deux adeptes de la trace, du presque pas visible montrent aussi, dans la salle du fond, des American Landscapes (ici le n°2) représentant sols et murs de studios photo où sont d’ordinaire réalisées des campagnes publicitaires : sur des volumes blancs et vierges, Broomberg et Chanarin font voir la trace évanescente des produits qu’on y a photographiés les jours précédents. Ici, le sol porte la trace des actions passées, une griffure au sol,  un frottement, une rotation : fut-ce pour Coca-Cola, pour un cosmétique ou pour un magazine que ces empreintes eurent lieu ? Quels fantômes hantent ces lieux, ces paysages américains ?

A côté de graffiti relevés sur les murs d’une prison irakienne, ils alignent sur une étagère 11 photos délicates où, sur un fond blanc des hommes, les yeux bandés, attendent la mort, puis gisent au sol. C’est une dissection spatiale et temporelle d’une fameuse photographie de presse par Jahangir Razmi, l’exécution de prisonniers kurdes par des soldats iraniens. Mais ici l’histoire est décomposée, la photographie originale est déstructurée, l’horreur est diffusée d’image en image, la lecture du drame est remodelée (Afterlife).

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Il faut lire, je crois, le travail de Broomberg & Chanarin d’abord comme une remise en cause des postulats photo-journalistiques (l’anti-Perpignan, si vous voulez), mais aussi de manière plus large comme une critique de la photographie elle-même en tant que représentation du réel, et cette critique s’inscrit jusque dans les outils photographiques eux mêmes, comme incarnée dans cette volonté d’expérimentation et de retrait. C’est à la galerie Karsten Greve jusqu’au 7 janvier.

Photos (dont deux vues d’exposition recadrées) courtoisie de la galerie.


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