Extrait :
Sa fillette sur les genoux, M. Olivier Méri parle de "lutte de classes" et d’"action de masse", du sorbet à la goyave plein la bouche. Des termes périmés, en métropole. Pas ici, au bord de la mangrove — le marais côtier planté de palétuviers. Pas aujourd’hui, en ce samedi d’août où les pompiers de l’aéroport fêtent leur victoire. Un "midi-minuit", douze heures de zouk à fond et de plats maison (gratin de christophines — sorte de courgettes —, riz forcément créole, mangues à volonté) pour récompenser six mois de grève en continu — avec occupation de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), recours au tribunal administratif, médiation du préfet.
"On est parti de presque rien, hein, au départ ?" M. Méri se tourne vers son "mentor" Eddy Damas, salarié de France Télécom et cadre de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), qui fume une cigarette en retrait : "En 2006, le conseil syndical de l’UGTG m’a donné l’ordre de relancer l’union locale des entreprises de l’aéroport. C’était un point stratégique, et pourtant en sommeil. Nous n’avions alors qu’un seul syndiqué parmi les pompiers. A force de réunions, d’enquêtes, de tractage, nous en avons aujourd’hui dix-sept sur trente-deux...
- C’est si important, pour vous, le tractage ?
- Essentiel. Quand tu distribues un papier, l’article compte à peine. C’est grâce à la poignée de main, grâce à l’échange autour que l’on persuade lentement, que nos idées se distillent dans le corps social. Et surtout, quand tu diffuses avec ton tee-shirt de l’UGTG, c’est un bon thermomètre. Tu prends la température, et parfois tu sens que les gens sont chauds."
Auteur(s) : François Ruffin