Commencons par une autopsie : si je vous dis Everything Remains Raw de Busta Rhymes ou Party Over de Mobb Deep, non, rien ? 73 touches de Hocus Pocus, 16 rimes de La Brigade feat Lunatic, toujours rien ? Et bien, tous ces samples ont été puisés dans l’océan d’une oeuvre, celle de Miles Davis. 50 ans après Kind Of Blue l’album le plus vendu de l’histoire du Jazz. La Cité de la Musique frappe un grand coup, dans l’estomac culturel, en réalisant la première exposition à la hauteur d’un musicien qui a marqué le XXe siècle : Miles Dewey Davis III, Miles Davis.
MILES DAVIS
Exposition : WE WANT MILES
Le Jazz face à sa légende
Rez-de-chaussée (1926-1967).
La première partie de l’exposition est une longue nuit à traverser. Les débuts du jeune Miles, élégant, filent dans un chemin clair-obscur. Premier cachet, naissance artistique, Be-Bop… New York se fait une opinion de lui. Par souhait de mettre en avant son art, un casque audio est remis à l’entrée et la possibilité de piqué sa jack est optimisé dans toute l’exposition. Bon choix. Car qu’est-ce que serait un hommage à un héros du Jazz, sans pouvoir l’écouter. Après un court moment, l’étaux se resserre et les quelques 500 pièces : d’effets personnels, de pressages originaux, de trompettes gravées à son nom, de notes à chaud… y sont pour beaucoup. Pas besoin de long discours. Nous approchons d’un homme atypique, c’est le moins qu’on puisse dire et l’enjeu est là : cerner une personnalité comme du sable fin qui glisse entre les doigts. Miles Davis, le citoyen militant, le ” Prince des Ténèbres ” comme certains l’appelaient, le Dandy sans rémission auprès des femmes, le nègre… qui comme n’importe quel autre à une époque, subissait l’horizon indépassable qu’était l’Apartheid. Fils d’un père qui lui inculqua la fierté raciale et d’une mère qui prônait l’intégration. À la demande de formuler trois voeux, il répondra : « Être blanc ». Deux mots vampiriques qui donnent une vertigineuse idée de la société à cette période, même pour un Jazzman blindé. Des extraits vidéos tournent en boucle, ” Ascenseur pour l’échafaud ” de Louis Malle n’y manque pas. Sa liaison avec Juliette Gréco est bien évidemment soulignée. Les clichés de grands photographes tiennent en respect. Quant aux petites pièces en forme de croissant lune, elles indiquent un hotspot dans sa carrière, comme sa complémentarité avec un certain Gil Evans.
Zoom dans la nuit.
Sur le plan artistique, Miles Davis n’a jamais été LE grand technicien du Jazz, mais il avait un atout, celui de tirer le meilleur du potentiel d’un musicien qu’il choisissait, sans jamais se conforter sur une gloire. On dit aussi qu’il avait le flair d’un géant, alors, dans la nature des choses, il croisa d’autres géants. Il collabora avec Prince (en vain), enregistra avec Billie Holiday, joua avec Freddie Webster, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Charlie Parker, Marcus Miller, Cannonball Adderley, Charles Mingus et la liste est longue (sans compter le nombre de sangs neufs qui passeront par lui)…
Deuxième partie (1968-1991).
Au sous-sol impossible de faire un pas, sans admirer la pochette d’album Bitches Brew. Toujours dans les prises d’écoute, Davis vit sa révolution électrisée. Sur les clichés, sourit toujours peu, chose qu’il n’aimait pas chez Louis Amstrong. Musicalement, il prouve qu’il n’est tributaire d’aucun style. À chaque fois il repart à zéro, toujours en quête d’un rythme inédit, tel un poète à la recherche de sa nouvelle muse, de l’arrivée du synthétiseur numérique, aux nouvelles possibilités offertes en studio, en passant par la vague Jimmy Hendrix. On le disait mégalo, ambigu, caméléon, entouré de cercles de drogués, capable de coups de génie mais à l’aura sulfureuse. Le premier à tenter la fusion Rap/Jazz sur l’album posthume Doo-bop malgré tout et cet homme aura renouvelé plus de fois le Jazz qu’il aura raté de mariage… Plus qu’une figure à part, Miles Davis n’était dans aucun angle mort, comme sur un ring de boxe. Le sac de frappe exposé évoque son ivresse pour cette discipline, en qui il voyait des similitudes avec son Jazz, tout comme la peinture, une autre passion tardive sur le reste de sa vie. Après un retrait symbolisé par un long couloir sombre, il fera son retour et ira droit jusqu’au bout. L’exposition s’achève dans une ultime pièce, où son chant du cygne est projeté, concert où Miles Davis et le Jazz font l’amour une dernière fois, quelques semaines avant sa mort, sur le site même de La Villette à Paris.
L’exposition est somptueuse, vraiment à la hauteur, ai-je oublié de le préciser ? Quand on est un novice en Jazz, ou pas du tout initié, se rendre à cet exposition, c’est comme avoir pour la première fois dans son assiette un steak de requin, c’est con, on peut pas s’empêcher d’appréhender bêtement, mais passées les craintes, chacun peut aller de sa critique, de sa réflexion et de son plaisir.
We want more : Un film sur sa vie est en cours, l’adaptation du roman Miles & me du journaliste et écrivain américain Quincy Troupe.
We Want Miles.
Du 16 octobre 2009 au 17 janvier 2010
La cité de la musique. Metro : Porte de Pantin.
Ouvert : du mardi au samedi de 12h à 18h, le dimanche de 10h à 18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 22h
Plus d’info : www.citedelamusique.fr
Sébastien Dagnet (Le Chilleur)