Le week-end dernier je me suis rendu en pèlerinage à Sèvres Babylone, comme tout les ans vers cette époque, traîner dans les rayons du Bon Marché ce magasin parisien qui sent encore son Boucicaut et les traditions, trait d'union entre les grands magasins de notre capitale et les enseignes Britanniques comme Harrod's. Car je ne sais pas pourquoi mais ce magasin me rappelle toujours ces temples londoniens où le bon chic bon genre aime prendre ses quartiers. Dans les rayons, cashmeres et tweeds fricotent avec les soies. Le bourgeois vient y faire ses courses en famille, ici on flâne dans les allées sans brusquerie, on tâte d'une main experte les étoffes sans s'inquiéter des prix, ensuite on passe dans l'autre magasin consacré à l'alimentaire, étalages à profusion de produits de qualité, thés et confitures, viandes et poissons, pains et mille autres appétissants attraits.
Quand vient Noël, le coin décorations au dernier étage et les vitrines à l'extérieur savaient restituer cette ambiance festive de mon enfance. Las ! Tout s'écroule. Le coin décorations pour le sapin est d'une froideur à transir toute velléité et les vitrines sont à pleurer de rage. Dans tous les magasins, les décors de Noël me font penser à ce qu'on appelait la nouvelle cuisine il y a encore peu de temps (mais on commence à faire marche arrière), trois haricots verts alignés contre un morceau de poisson large comme mon pouce ou pire encore les fameuses émulsions qui devaient affoler les papilles. Ne sachant plus quoi inventer - car hors de l'invention il n'y a pas de vie - on se rue dans le n'importe quoi, l'important étant de faire moderne. Pour en revenir aux vitrines, il ne reste quasiment rien de Noël. Bien entendu l'aspect originel de la tradition religieuse a été effacé au maximum au fil des ans, en ces temps de diktats contre toute manifestation ostentatoire de sa religion il n'eût plus manqué de voir des vitrines caillassées, et plus le Noël des marchands devient laïc plus il devient laid. Finies les décors de neige, les rênes et autres animaux gambadant dans la forêt, tirés des livres d'images des enfants. Aujourd'hui les vitrines sont pour les adultes, néons clinquants, verre et métal, message subliminal que seul la lecture du dossier de presse permet d'expliciter. Cachez ce Noël que je ne saurais voir, mais trouvons une combine pour que le client continue à rappliquer.
Je suis certainement dépassé par les évènements et n'ayant pas d'enfants, je m'égare sûrement, les gosses d'aujourd'hui s'émerveillent peut-être devant ces vitrines sinistres pour mon goût. D'ailleurs Noël en soit, ils n'en ont rien à battre, du moment que l'école est fermée et qu'ils reçoivent la paire de Nike ou la PlayStation qu'ils espèrent.
Du coup en rentrant de ma tournée des Grands Magasins, je repensais à mon billet d'il y a quelques jours où je fustigeais la hâte des magasins à afficher dès la mi-novembre Noël ; j'avais critiqué le goût déplorable de Bricolex avec ses Pères Noël gonflables bêtement suspendus dans leurs vitrines, mais je m'aperçois que ce sont eux qui restent finalement au plus près de la tradition. Les bras m'en tombent de découragement, en ce nouveau millénaire, pour rêver de mes Noëls d'antan, il ne me reste plus que Bricolex pour me souvenir. Quelle mascarade !