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Mon invité: le pasteur Blaise Menu et les minarets

Par Haykel

16362_1225860539583_1621127854_614098_7191391_n.jpgY’a pas mieux qu’un homme de foi pour parler de l’initiative anti-minarets soumise ce dimanche à la votation. Je n’ai pas choisi n’importe quel pasteur, j’ai sollicité Blaise Menu, personnalité connue et reconnue à Genève pour ses engagements avec la jeunesse et ses activités “extra-religieuses”. Depuis son arrivée au mois de septembre 2008 au Temple de la Fusterie il a transformé ce lieu de culte en un endroit de dialogues et de rencontres. Le temple sous sa houlette est devenu un trait d’union entre les genevois protestants et toutes les autres confessions. Il a organisé et il continue a le faire avec bonheur plusieurs débats avec la société civile, des hommes politiques et des personnalités de tous bord. Les jeudis de l’Espace Fusterie sont devenus des rendez-vous incontournables pour tous ceux qui suivent l’actualité. Partageant son temps de travail avec l’AJEG (Animation jeunesse de l’église protestante de Genève), Blaise Menu est content du chemin parcouru et du travail accompli avec la présentation du 5 au 15 novembre du spectacle “Génération Calvin” et de la commémoration du 500ème anniversaire de la naissance de Jean Calvin pour lesquelles il s’est beaucoup investi. Avec ses neuf ans d’expérience en tant que pasteur, Blaise Menu ne compte pas s’arrêter là. Il a beaucoup d’idées et veut poursuivre son travail de dialogue entre les religions et de “facilitateur” spirituel auprès des jeunes. Affable, souriant, constamment à l’écoute et la main tendue, Blaise n’est point blasé, il souhaiterait connaître par le menu ce qui a annimé les initiateurs de l’initiative anti-minarets. Lundi je suis passé à la Fusterie le prendre en photo. Une imposante tribune occupe les lieux au Temple, Blaise Menu ne semble pas prêt de la démonter de sitôt malgré la fin du spectacle “Génération Calvin” le 15 novembre dernier. Bien que rien n’est prévu dans le programme comme spectacle, la présence de cette tribune est une source d’inspiration pour le pasteur de la Fusterie. Dans quelques jours je suis sûr qu’il trouvera une utilité à ses gradins. Blaise Menu est un excellent “menu”. Voici ce qu’il pense de l’initiative anti-minarets:
"Le débat sur les minarets a fait enfler les pages de tant de blogs qu’il paraît un peu vain d’ajouter quoi que ce soit. Mais les inepties, les contresens et le délire identitaire qu’on nous sert depuis des semaines ont fini par aiguiser ma conscience de citoyen et de théologien, et c’est à ce double titre que je réponds à l’invitation de ce blog, à défaut d’en entretenir moi-même, pour exposer mon point de vue.

Une loi: où et pour faire quoi ?

Comme citoyen, je me dis: une chose est d’édicter des lois qui gèrent l’espace public, une autre est d’inscrire dans la Constitution des lois qui ont pour vocation de marquer les contours fondamentaux de l’espace social. Or je constate qu’avec cette votation, il s’agit ici d’une disposition constitutionnelle (bien plus impérative et massive qu’une “simple” loi) dont les relents restrictifs et condescendants nous plongent en plein XIXe siècle. Si donc on veut légiférer au niveau constitutionnel, c’est que le problème est sérieux. Mais où est le problème ? Est-il réel et établi, ou construit à la faveur des débats interminables de ces derniers mois ? Je trouve que le débat instille un singulier manque de confiance dans la qualité et la solidité de nos institutions, une fois encore.

Une lecture fondamentaliste

16362_1225860579584_1621127854_614099_456263_n.jpgSur ce, lisons les documents des initiants. Et le théologien de constater que les arguments de l’UDF ou du comité d’initiative sont pour le moins troubles, que ce soit à la faveur de citations spécieuses, ou d’extraits bibliques ou coraniques trop bien choisis. Dans le domaine biblique, précisément, j’y vois une lecture fondamentaliste, arrangée, sommaire. Pour le dire autrement: les initiants se font aussi fondamentalistes que les islamistes qu’ils veulent dénoncer, tandis qu’ils touchent en fait à l’islam et à telle de ses expressions. Leur lecture du Coran est aussi superficielle et ciblée que celle qu’ils font de la Bible, hélas, et elle est aussi inacceptable que celle qu’en font certains musulmans, hélas aussi. Or il est du devoir d’une conscience éclairée de refuser cette instrumentalisation des textes saints.
Exemple. Au petit jeu des versets bibliques, on peut certes citer Deutéronome 28,43 comme le fait l’UDF dans son argumentaire: “L’étranger qui sera au milieu de toi s’élèvera toujours plus au-dessus de toi, et toi, tu descendras toujours plus bas.” Tant qu’à faire, on pourrait même citer pire, le choix ne manque pas, assurément, tant la figure de l’étranger sert volontiers de repoussoir. Mais, hors de tout contexte, on aura tôt fait d’oublier que Dt 28,43 s’insère comme une malédiction parmi beaucoup d’autres adressée au peuple s’il n’écoute plus la voix du Seigneur et s’il ne met plus en pratique ses commandements (cf. Dt 28,15). Quelle est cette loi ? Elle est rappelée notamment en Lévitique 19,32-33, dans un passage de prescriptions assez hétéroclites: “Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas. Cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous; tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes vous avez été des émigrés dans le pays d’Egypte. C’est moi, le Seigneur votre Dieu.”. Là non plus, les citations ne manquent pas...

Minaret = extrémisme ?

Par ailleurs, la lecture du minaret faite par les initiants est unilatérale, le raccourci suggestif mais absurde (minaret = extrémisme islamiste), et l’intention manipulatrice en ce sens qu’elle exploite les inquiétudes et les peurs sociales en pariant sur un avenir trouble et incertain. Il n’y a qu’à voir les photos tendancieuses des argumentaires et les affiches grotesques qu’on nous inflige ces temps pour s’en rendre compte. Et la version politiquement à peine mois incorrecte de l’équation (minaret = domination) l’emporte par sa force suggestive mais ne résiste pas à l’analyse, à moins de considérer de ce point de vue que les clochers de temples et des églises, pas plus utiles que les minarets, mériteraient le même sort, ce dont il n’est manifestement pas question ici, étonnamment. Face à cela, il convient de garder raison et de ne pas céder aux sirènes de ce populisme plus ou moins chrétien. Ceux-là même qui dénoncent la signification symbolique du minaret, selon leur lecture, oublient un peu vite cet autre objet symbolique, souvent étendard de conquête et de domination porté par l’Occident au fil des âges – et  qu’il demeuCitation.jpgre pour certains: la croix.
L’équation minaret = intégrisme marque les esprits à force d’être répétée, jusqu’à la nausée. Mais ce présupposé, sur lequel les partisans de l’initiative basent leur argumentaire, n’est ni réellement prouvée ni étayée par des faits et des chiffres en contexte suisse. Et je dis bien “suisse”, au sens où ni le Royaume Uni, ni l’Allemagne, ni la France, pour ne prendre que des pays souvent cités en contre-exemple, n’offrent de correspondance à l’islam vécu chez nous. Y a-t-il en Suisse quelques excités et personnes aux propos inacceptables, rétrogrades, patriarcaux voire tribaux, notamment sur la condition de la femme ? Hélas oui, mais qu’on se rassure: chez les chrétiens aussi, malheureusement. Et chez d’autres sans doute aussi. Chaque chose en son temps, m’objectera-t-on, mais je me languis de voir les petits combattants de l’islamisme se lever contre des inégalités plus... indigènes et coutumières.
Portée symbolique
16362_1225860499582_1621127854_614097_8271894_n.jpgReste que l’argument des minarets est symbolique. Précisément, mesure-t-on assez la portée symbolique de ce vote, qui est et demeure, quoi qu’on en dise, un vote de défiance, dans la mesure il est un vote d’interdiction à l‘égard d’une minorité de citoyens et d’habitants de ce pays, prenant prétexte à la relative inutilité du minaret pour mieux l’interdire ? Mais pourquoi vouloir interdire ce qui, en somme, ne s’impose pas ? L’argument se mord la queue: ce serait comique si ce n’était pas si grave et si l’on n’avait ce sentiment d’un problème créé de toutes pièces à des fins électoralistes.
Les initiants font craindre des dérapages - que la législation actuelle permet manifestement d’éviter. Pire: on lit même que l’Europe pourrait devenir musulmane, à la faveur d’un grand complot islamiste, parce que quelques allumés ou intellectuels en mal de publicité ont eu des mots que personne ne va vérifier mais que tout le monde répète jusqu’à s’en convaincre. Du coup, on prend prétexte du minaret pour faire la morale, levant le doigt plus haut encore ! Aujourd’hui, les sermonneurs ne montent plus en chaire: ils emplissent les blogs et les médias, avec conviction mais sans références, n’hésitant pas à mêler tout avec n’importe quoi.

La question de la réciprocité

Ainsi l’évocation des droits accordés ou pas aux non-musulmans dans des pays à majorité musulmane: pour le dire tout net, quitte à choquer, il s’agit résolument ICI d’un faux problème et d’une instrumentalisation indue; comme s’il fallait être aussi prohibitif et finalement aussi intolérant que ceux dont on dénonce le comportement... Belle démonstration de maturité démocratique, assurément ! Il m’étonne de voir aujourd’hui ceux qui veulent nous donner des leçons de démocratie être prêts à voter des lois d’exception et fouler au pied les principes même de la démocratie sous prétexte de se prémunir de l’intégrisme musulman, comme si l’intégrisme ou le fondamentalisme chrétiens, pour ne prendre qu’un exemple familier, ne constituaient pas eux aussi un sérieux problème sociétal.
En évoquant cela, je sais pouvoir heurter celles et ceux qui ont connu les persécutions et les intimidations, qui les subissent encore et qui restent meurtris dans leur âme comme dans leur chair. Je ne saurais nier les graves problèmes rencontrés, notamment en Egypte et dans combien d’autres pays!, par des chrétiens ou des non-musulmans dans la pratique de leur foi, pour ne pas dénoncer ces situations de souffrance et de persécution intolérables et scandaleuses. Je peux dès lors souhaiter de tout citoyen, musulman ou non, qu’il s’engage et pétitionne afin de faire pression sur ces gouvernements ou sur  les autorités religieuses qui cautionnent des pratiques indignes, notamment vis-à-vis des femmes, qui paient un lourd tribu à l’obscurantisme social ou religieux.
Mais par rapport au débat sur les minarets, puisque ce seul sujet nous importe ici, je dis: ET ALORS ?!  Quel rapport ? Quelle pédagogie mettons-nous ICI en oeuvre en voulant interdire les minarets ? A quelle situation objective et quelles demandes concrètes sommes-nous confrontés ? Combien y en a-t-il déjà de minarets, en Suisse ? Quatre ? Cinq ? Avons-nous jamais eu le moindre souci à Genève à ce propos qui ne pût être réglé ? Franchement, la gestion de l’espace public ne se résume pas à des chamailleries de cour d’école – or c’est bien ce qu’on nous sert depuis plusieurs semaines sous prétexte de clairvoyance.

Idéologie sous-jacente

La paix religieuse doit être maintenue, certes, mais pas de cette manière, c’est-à-dire sur le dos d’une population-cible. Il y a peu, on parlait beaucoup des étrangers ou des réfugiés; ceux-ci peuvent être reconnaissants aux musulmans de ce pays (souvent rapidement assimilés aux catégories précédentes, d’ailleurs), de leur laisser un peu de répit. Trêve d’ironie: je fais fi du reproche de naïveté lorsque je vois des gens argumenter de façon voilée (!) ou à coup de versets bibliques complaisants: en se parant des atours du souci politique, ils véhiculent une idéologie politique chrétienne qui ne s’avoue pas et qui, in fine, vient à dire de manière exclusive et fort peu démocratique: “Jésus Christ est seul Seigneur”, idéologie dont ils n’assument que partiellement les logiques et les conséquences – fort heureusement, d’ailleurs. Faut-il dès lors renoncer à toute conviction ? Certes non, mais jusqu’à quel point cette conviction prime-t-elle sur le droit ? Je ne suis pas sûr que la nostalgie d’une situation de chrétienté soit absente des esprits. Dès lors, je suis frappé de voir combien, prenant appui sur la rapide et seule lecture d’un choc des civilisations, on est enclin à partir en croisade au nom de la paix religieuse. Car c’est bien d’une croisade qu’il s’agit ici (il n’est pour s’en convaincre que de constater la fougue des partisans lors d’un débat public), et cette initiative n’est pas anodine, tant s’en faut. Les initiants argumentent d’un principe de précaution face à la prolifération (avérée?) de demandes communautaires de la part des musulmans, pour mieux s’en défier. Bien. Je demande: si cette initiative-là est acceptée, quelle sera la prochaine ? Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Des combats ciblés

16362_1225860459581_1621127854_614096_415844_n.jpgS’il faut être clair pour écarter tout propos équivoque, soyons-le: non, nous n’accepterons pas que des lois (d’inspiration musulmane ou de quelque inspiration qu’elles soient) qui ne respecteraient ni l’intégrité, ni la liberté, ni l’égalité des êtres humains (et singulièrement celles des habitants de notre pays) viennent remettre en cause l’essentiel de ce que la démocratie suisse a su construire, parfois dans la douleur, depuis plus de 150 ans. Oui, à l’inverse de ce qu’imaginent ceux qui nous vassalisent à l’islam et qui confondent le respect critique avec la révérence, nous nous battrons pour que le droit soit respecté, comme nous donnons aujourd’hui de la voix contre les prophètes de malheur soi-disant éclairés qui veulent nous convaincre que l’islamisme commence au pied d’un minaret, et qu’interdire cette construction est faire preuve de discernement spirituel et de maturité politique.
Disons-le tout net: cette initiative anti-minarets est une mauvaise réponse à de bonnes questions, celles qui touchent notamment à la reconnaissance de l’identité religieuse et culturelle des migrants musulmans, à celle des communautés musulmanes en Suisse, à leur intégration, à l’articulation entre préférences communautaires et règles publiques, à la place de la femme dans l’imaginaire musulman et ses relations à l’homme, à la liberté de pratiquer ou non sa religion, voire d’en changer, à la formation des cadres (imams notamment) par des filières certifiées (comme pour les pasteurs réformés dont je suis), à la liberté d’expression, permettant la critique, et à la nécessité d’une harmonieuse cohabitation socio-religieuse dans toutes les étapes de la vie: à l’école comme dans les loisirs, au travail comme dans le cadre de soins hospitaliers. Or le débat actuel ne crée qu’un écran de fumée qui permet de mieux éviter ces questions-là, vraiment importantes, lesquelles devraient mobiliser nos énergies et notre discernement au lieu de voir ceux-ci dispersés vers des objets sans intérêt et des faux débats.
Surmontant le Kulturkampf, catholiques et protestants de ce pays ont mis du temps pour parvenir à s’entendre à nouveau et à trouver respect. Certains n’y arrivent toujours pas ? Tant pis pour eux, tant qu’ils ne font pas s’enliser la Suisse. Dans la tradition positive de nos Eglises, puissions-nous aujourd’hui faire profiter de notre expérience critique, de notre discernement et de notre sagesse constructive celles et ceux qui en ont besoin, au lieu de légiférer à la hussarde et de faire de la théologie de boulevard. Nous nous en porterons tous mieux au soir du 29 novembre prochain. Et nous n’aurons rien perdu de notre lucidité."
Blaise Menu, pasteur EPG

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