Un album de Neil Gaiman, Chris Bachalo & Mark Buckingham, édité par le Téméraire (1997) dans la collection Vertigo. Il reprend les trois épisodes de la mini-série Death, the High Cost of Living édités en 1993 par DC Comics.
Couverture cartonnée rigide, papier glacé épais de bon aloi. On a droit à des couvertures de Dave McKean et à une présentation des auteurs.
4e de couverture : Et si la mort n’était pas cette horrible faucheuse ? Si elle était belle, séduisante, qu’elle se maquillait et portait des jeans ? Seriez-vous prêt, alors, comme le jeune et désabusé Sexton Furnival, à partager une journée avec elle ?
Une chronique de Vance
Entre une Cachou qui m’a fait rappeler que l’un de mes derniers coups de cœur littéraires était dû à Neil Gaiman (American Gods, un roman très dense dont on ne sort pas intact) et des Illuminati toujours amateurs de pages fraîches inductrices de nouveaux plaisirs, il n’en fallait pas davantage pour que, au cours d’une incursion mensuelle chez mon libraire préféré, je saute le pas et ramène au milieu de mes Ultimate X-Men et autres Marvel Icons un petit album à la délicieuse couverture signée Bachalo.
Gaiman & Bachalo : je les connais plus de réputation, mais le peu que j’ai vu de leurs productions respectives était fortement incitatif.
Bien m’en a pris.
Un bémol, toutefois, avant de poursuivre dans les dithyrambes : l’objet, de taille modeste pour une reliure (17x26, soit la taille des mensuels vendus en kiosques), n’abrite qu’une seule histoire en trois chapitres. L’ensemble se lit donc vite et paraît, à la dernière page, un peu léger pour le prix (quoique moins frustrant que les tomes de la Brigade chimérique, encore plus rapidement expédiés).
Mais baste, c’est agréable et chargé d’une poésie indicible, de cette lancinante et exquise langueur qui hante les auteurs romantiques : la Mort, l’Au-Delà y sont traités d’une façon remarquablement détachée, avec aplomb et placidité. Ce qui frappe avant tout, c’est l’atmosphère, un peu « fin de siècle » et l’on y navigue constamment entre le cynisme bon teint, le fantastique éthéré des comptines et l’amère réalité qui plombe la vie de nos ados en manque de repères.
Sexton Furnival en est le parfait exemple, traînant son nihilisme dans l’attente d’une mort toute aussi vaine que sa vie : de son propre aveu, il n’aime personne, ne déteste personne, pas même ses parents (sa mère un peu barge capable de redécorer l’appartement en pleine nuit ; son père qui s’est barré à Hollywood où il est juriste au service des stars) et ne veut rien.
Je ne veux pas vivre dans le même monde que la Fédération mondiale de catch et le téléachat.
« Alors, autant être mort, non ? » conclut-il ainsi sa lettre d’adieux.
Il ne mourra pas. Malgré sa rencontre avec la Mort.
Inopinée ou non, elle lui fera découvrir la vie sous un angle aussi merveilleux que macabre. Car la Mort est une jeune fille craquante, souriant à tout, d’une bonté confondante (tant que personne ne lui demande jamais de payer) et qui s’extasie d’un rien :
C’est génial, les pommes, non ? Je veux dire, leur goût, et la texture, comment elles fondent quand tu les croques et le jus qui te coule dans la bouche. C’est pas génial ?
C’est que la Mort vient de naître. Ou renaître. Dans le corps d’une jeune fille (Didi) qui a perdu ses parents – du moins est-ce ainsi qu’elle se présente avec beaucoup d’énigmes doucereuses dans le ton. Rarement se montre-t-elle explicite – et dans ce cas, elle est encore plus troublante :
SEXTON : Quand tu disais que ta famille n’avait jamais existé. Je veux dire… t’es du genre à sortir des trucs bizarres en plein milieu de la conversation juste pour avoir l’air intéressant ou c’était une blague ou quoi ?
DIDI : Rien de tout ça, ils n’ont jamais existé, point.
SEXTON : Alors qui sont ces gens sur les photos ?
DIDI : C’est juste un moyen qu’utilise l’univers pour me mettre à l’aise. Techniquement je suis née il y a trois heures.
Plus tard, tentant de répondre encore une fois à la question directe de Sexton (« Pourquoi tu crois être la Mort ? ») :
DIDI : Ecoute : « Un jour par siècle, la Mort descend parmi les mortels, afin de comprendre ce que ressentent les vies qu’elle prend, et goûter la saveur amère de la mortalité : c’est le prix à payer lorsqu’on divise la vie entre ce qui était avant et ce qui sera ensuite. »
Inutile de préciser que Sexton mettra un temps considérable pour comprendre qu’il n’a pas affaire à une droguée. Aussi troublante et adorable soit-elle. Il la suivra, un peu contraint au début lorsqu’elle accepte le marché passé avec Mad Hettie (qui fait terriblement penser, dans sa façon d’être et sa quête, à la sorcière du Château ambulant ) et volontairement lorsque Didi se trouvera en danger face à un homme doté d’un savoir lui permettant de l’appréhender telle qu’elle est. A son contact, Sexton s’affermira. Mieux même : avec sa tenue gentiment gothique, ses cheveux noirs légèrement ondulés et son éternel sourire, elle est un rayon de soleil dans sa vie de merde. Et ses enseignements sont aussi étranges que profonds :
SEXTON : Les morts ne parlent pas, c’est ça ?
DIDI : Tout le monde parle. C’est juste que les morts parlent moins fort que les autres.
Une fable évanescente et belle, à la fin exquise, un peu trop douce, un peu trop sucrée et pourtant empreinte d’une grande part de rêve : les personnages y sont effleurés, brossés à coups de sourires et de répliques – sauf Sexton, l’ado suicidaire qui constitue paradoxalement la seule véritable ancre concrète dans la réalité. La féerie dans laquelle l’entraîne malgré lui Didi aura inévitablement un impact sur son destin et sa vision d’un monde sombre.
Un jour dans la vie de la Mort.
Un joli voyage et l’envie d’aller plus loin dans l’univers onirique de Gaiman.