Magazine Banque

Bonus des traders : interview de Jean-Claude GUERY, Directeur des Affaires Sociales de l’Association Française des Banques (AFB)

Publié le 24 novembre 2009 par Sia Conseil

Bonus des traders : interview de Jean-Claude GUERY, Directeur des Affaires Sociales de l’Association Française des Banques (AFB) Pouvez-vous nous présenter l’Association Française des Banques ? Quelles sont ses missions ? Qui regroupe-t-elle ? Comment se positionne-t-elle par rapport à la Fédération Bancaire Française ?

L’Association Française des Banques (AFB) est l’un des membres fondateurs de la Fédération Bancaire Française

(FBF), avec les banques françaises. Six membres siègent au comité exécutif de la FBF : 1 représentant de chacune des 5 banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel) et 1 représentant de l’Association Française des Banques.

Les missions jadis assurées par l’AFB ont été réparties comme suit entre les deux organismes :

  • La FBF assure l’ensemble des missions d’organisme professionnel : relations extérieures, étude et analyse des questions bancaires… pour tous les réseaux bancaires.
  • L’AFB assure une mission de syndicat patronal, sur le champ de la convention collective de la banque de janvier 2000, pour les banques dites commerciales. Elle est l’acteur patronal du dialogue social et de la négociation avec les organisations syndicales (convention collective, salaires, emploi, formation professionnelle, …).

La question du « bonus des traders » est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Est-ce justifié ?

La question des « bonus des traders » est l’arbre qui cache la forêt. Il s’agit d’un des multiples facteurs qui ont contribué au déclenchement de la crise économique et financière que nous connaissons actuellement, mais il ne s’agit en aucun cas du facteur principal. D’autres facteurs, comme les déséquilibres macro-économiques à l’échelle de la planète, le surendettement public ou privé, ont certainement davantage contribué au déclenchement de cette crise. En présentant les bonus des traders comme le principal facteur de déclenchement de cette crise, on court le risque de n’agir que sur ce facteur, qui n’est pas le facteur principal, au détriment d’autres facteurs, qui ont vraisemblablement davantage contribué à son déclenchement. Les bonus des traders sont donc un vrai sujet, mais on leur donne une importance qu’ils n’ont pas.

Pourquoi ce sujet a-t-il pris une telle importance ?

Ce sujet a pris cette importance car c’est un sujet « grand public » : il est facile de comparer sa rémunération à celle d’un trader et d’en mesurer la différence. Les années passées, certains savaient que le montant des bonus dans la finance pouvait être très important, mais la profession restait relativement peu connue du grand public (la finance de marché a connu son essor au cours des 15 dernières années), et de tels écarts de rémunération choquaient moins l’opinion dans un contexte où les affaires sont bonnes pour tout le monde, que dans un contexte de crise financière, économique et sociale. Les autres facteurs, comme l’architecture des marchés, la compensation des dérivés, les leverage ratios… n’ont pas connu ce retentissement car ce sont des sujets moins accessibles au grand public. Dès lors, la question des bonus des traders devient un sujet de première importance pour les banques, qui subissent la pression des pouvoirs publics, eux-mêmes soumis à la pression de l’opinion publique.

Peut-on selon vous supprimer les bonus des traders ?

Non, cela n’est pas possible. De toute façon, supprimer les bonus des traders ne changerait que peu de choses.

Peut-on arriver à un consensus mondial sur les bonus des traders ?

Effectivement, nous pouvons affirmer que nous sommes arrivés à un consensus mondial sur ce sujet. Les règles édictées par le Comité de Stabilité Financière (CSF) et validées à l’occasion du G20 de Pittsburgh sont la preuve qu’il est possible de construire une base de référence mondiale dans ce domaine. Nous disposons là d’un véritable test de la volonté internationale d’édicter des règles communes et universelles. En ce sens, il s’agit d’un test hautement symbolique, que nous sommes condamnés à réussir !

Quelles sont les prochaines étapes dans la mise en place de la réforme des bonus des traders ? Quelles sont les principales échéances ?

La mise en œuvre de la réforme des bonus des traders se déroule en 3 temps :

  • Le 1er temps consiste à mettre en place une base de référence au niveau mondial. Cette base de référence est constituée de règles édictées par le Comité de Stabilité Financière (CSF) ; ces règles ont été validées par les représentants des 20 premières puissances économiques mondiales le 25 septembre 2009, à l’occasion du G20 de Pittsburgh.
  • Ces règles, une fois définies, n’ont pas de portée juridique en tant que telles. Elles doivent ensuite être transposées dans chacun des pays signataires, en fonction de leurs règles propres et de leur dispositif juridique. La transposition de ces règles dans chacun des pays signataires constitue le 2ème temps de la mise en œuvre de la réforme.
  • Le 3ème temps consistera à définir les principes de gouvernance de ce nouveau système : qui contrôle la bonne mise en application des nouvelles règles par les établissements, et comment ?

Nous en sommes aujourd’hui au stade de la transposition des règles dans chaque pays. En France, le gouvernement souhaite aller assez vite dans cette transposition. Un arrêté a d’ores et déjà été publié. Il prévoit une modification de la règlementation CRBF 97-02 relative au contrôle interne dans les établissements financiers, afin de fournir à la Commission Bancaire les éléments nécessaires à l’exécution des contrôles. Cet arrêté renvoie à une norme professionnelle qui décrit de façon détaillée les nouvelles règles en vigueur, dont la définition revient à la FBF.

L’ensemble (arrêté et normes professionnelles) a été rendu public le 5 novembre

Quels sont les organismes et les activités concernés par cette norme professionnelle ?

Les banques françaises ainsi que les filiales des banques étrangères en France sont concernées par cette nouvelle norme. Cela appelle deux questions :

  • Quid des filiales étrangères des banques françaises ? Ces filiales sont prises en compte dans la norme professionnelle de la FBF, même si elles ne sont pas contrôlées directement par la Commission Bancaire.
  • Quid des autres institutions financières (sociétés d’assurance, de gestion, etc.) ? L’idée est d’étendre ces normes professionnelles à l’ensemble des institutions financières, afin d’avoir une norme « de place », et pas seulement une norme bancaire.

Par ailleurs, cette norme professionnelle devrait en théorie s’appliquer à l’ensemble des sociétés qui exercent des activités de marché, et notamment aux établissements non financiers qui exercent des activités de trading sur les matières premières (énergéticiens, …). En pratique, si ces établissements ont filialisé  leurs activités de trading, alors la nouvelle norme professionnelle s’appliquera à la filiale concernée. Si tel n’est pas le cas, l’établissement n’est pas censé appliquer cette norme professionnelle.

Enfin, de nombreux établissements financiers exercent non seulement des activités de marché, mais aussi des activités de gestion d’actifs, de financement de projet, d’assurance, … Il semble délicat d’appliquer des normes différentes en matière de rémunération au sein d’un même établissement. Les nouvelles normes devraient s’étendre à l’ensemble des activités de ces établissements.

Avant le G20 de Pittsburgh, on s’inquiétait des conséquences d’une éventuelle « asymétrie » dans la mise en œuvre de ces mesures, et notamment de la distorsion de concurrence entre banques européennes et banques américaines qu’elles pourraient occasionner. Quels sont les risques qui pèsent sur la place de Paris ? Peut-on imaginer que des pans entiers d’activités se trouvent déplacés vers des pays plus permissifs en matière de rémunération ?

Il faut distinguer deux cas : le cas de la place de Paris d’une part, et celui des banques en tant qu’entreprises d’autre part.

Les risques qui pèsent sur la place de Paris sont réels mais ils restent limités à court terme. Il ne faut pas croire que les gens vont déménager comme cela. Ils restent des hommes et des femmes, avec leur mode de vie, leur famille. Ils ne sont pas aussi « fluides » que les capitaux qu’ils manipulent ! Peut-être observera-t-on toutefois des effets de vases communicants entre Paris, Londres et New York.

Concernant les banques françaises maintenant, force est de constater que tout le monde adopte une position attentiste sur ce sujet délicat. De fait, il existe un risque que les banques françaises soient les seules à s’engager dans la réforme de leurs modes de rémunération, ce qui pénaliserait leur capacité à attirer et retenir les talents, par rapport à des concurrentes étrangères qui n’engageraient pas ces réformes. Les banques françaises acceptent  d’être en avance sur ces sujets, mais pas trop, car elles en pâtiraient ! C’est d’ailleurs leur principale préoccupation en ce moment.

Récemment, le Wall Street Journal annonçait que l’année 2009 allait être « l’année de tous les records » pour la rémunération des banquiers, malgré la crise financière, malgré les aides du Trésor dont les banques américaines ont bénéficié, malgré les décisions prises à l’occasion du G20 de Pittsburgh. Comment expliquez-vous ce paradoxe apparent ?

Les bonus devraient effectivement être importants aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, après avoir connu un recul très net l’année passée. Pour la France, nous ne savons pas encore. Ces montants élevés des bonus versés au titre de l’exercice 2009 s’expliquent par le fait qu’ils sont conditionnés par les gains réalisés par les marchés au cours de l’année, et non pas par le niveau des marchés. Or les marchés ont connu un fort rebond depuis début 2009.

De tels montants peuvent effectivement paraître choquants, d’autant plus que certaines banques américaines et du Royaume-Uni ont bénéficié d’importantes aides publiques (c’est le cas notamment de la banque RBS). En France, l’Etat a comparativement beaucoup moins injecté d’argent public dans les banques, à l’exception de Dexia et d’une prise de participation dans le Groupe BPCE. Ce faible investissement en capital de l’Etat français dans les banques a d’ailleurs été un temps critiqué. De fait, l’Etat français, en achetant des actions de préférence de ces établissements (avec un rendement prévu d’avance), et non des actions de plein exercice, n’a pas voulu se mettre en risque d’actionnaire et a privilégié la sécurité sur le rendement. Effectivement, on peut se dire, a posteriori et à la lumière des cours actuels des valeurs bancaires, que l’Etat français aurait dû acheter des actions de plein exercice car l’opération aurait été beaucoup plus rentable pour lui. Mais qui, dans le contexte de l’époque, aurait été prêt à acheter des actions de plein exercice d’établissements bancaires, alors au cœur de la tourmente ? Et puis n’oublions pas que cette opération a tout de même rapporté, à ce jour, plus de 700 millions d’euros à l’Etat, ce qui n’est pas totalement négligeable. L’investissement en capital aurait peut-être été nécessaire si la crise s’était avérée plus longue et plus intense qu’elle n’a été. Toutefois, il apparaît après coup que le dispositif mis en œuvre à l’époque était plutôt bien calibré.

D’un point de vue purement économique, il peut paraître étonnant qu’un acteur du système bancaire ne puisse pas faire défaut sans générer de risque systémique. Le secteur bancaire est d’ailleurs le seul secteur économique qui fonctionne ainsi. C’est également le seul secteur économique à bénéficier du sauvetage des Etats lorsqu’il y a risque de défaut d’un établissement. N’y-a-t-il pas un problème moral ?

Ce qui diffère entre le secteur bancaire et les autres secteurs économiques, c’est que toutes les banques sont étroitement liées entre elles : elles sont toutes contreparties les unes des autres. Il y a de ce fait un effet de domino que vous ne rencontrez pas dans les autres secteurs économiques.

D’un point de vue purement économique, le fait qu’un acteur ne puisse faire défaut sans générer un risque systémique constitue effectivement une aberration. Cette spécificité du secteur bancaire explique pourquoi les banques ne sont jamais très loin des pouvoirs publics, et qu’elles ne pourront jamais être traitées comme une autre entreprise. Cela peut effectivement susciter l’incompréhension de l’opinion publique.

Quels sont, selon vous, les véritables problèmes actuels ?

Les grands déséquilibres macro économiques à l’échelle de la planète (notamment le financement de la dette américaine par la Chine), et l’endettement colossal des vieux pays développés, nous font courir un risque beaucoup plus important que les subprimes américaines. La crise des subprimes concernait, à l’origine, un segment très limité : il ne s’agissait que d’un segment du marché immobilier américain. La crise des subprimes aurait donc dû rester une crise régionale, à l’image de la crise asiatique de la fin des années 90. Si cette crise a eu le retentissement qu’on lui connaît, c’est qu’elle a trouvé un terreau propice à son expansion. Et ce terreau existe toujours aujourd’hui. Son éradication passe, notamment, par une évolution des infrastructures de marché, et la mise en place de chambres de compensation sur les marchés des dérivés, afin d’en assurer la traçabilité.

PARCOURS

Titulaire d’une Licence de Droit public, du diplôme des Etudes Supérieures de Droit privé (mention droit social) et ancien élève de l’Institut des Sciences sociales du travail, Jean-Claude Guéry a commencé sa carrière en février 1973, comme Inspecteur du travail.

En janvier 1982, il a été nommé Adjoint au Directeur régional du travail de la région Nord-Pas-de-Calais, poste qu’il a occupé jusqu’en mai 1988. A cette date, il a rejoint la Direction Générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes du Ministère de l’Economie et des Finances, comme Secrétaire Général de la Commission Interministérielle de coordination des salaires (CICS).

En avril 1991, Jean-Claude Guéry a été nommé Conseiller social du Directeur du Trésor et ensuite, en février 1994, Commissaire du Gouvernement à la mission de contrôle des activités financières de la Direction du Trésor. Il a exercé simultanément ces deux fonctions jusqu’au 1er juillet 2002, date à laquelle il a rejoint l’Association Française des Banques en tant que Directeur des Affaires Sociales.

Jean-Claude Guéry est également Chevalier de l’Ordre National du Mérite.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sia Conseil 159 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines