Je ne suis à la base pas fan des écrits de Boris Vian. Et l'auteur de L'Arrache-Coeur m'évoque davantage un écrivain n'ayant pas forcément bien vieilli qu'une prose qui défie le temps. Aujourd'hui encore, je garde le souvenir d'une lecture harassante de L'Ecume Des Jours, roman pourtant court, qui est à la littérature ce que Love Story est au 7ème art : un mélo mièvre et complaisant. Les mots-valises du roman qui cite Jean-Sol Partre me paraissent aussi indigestes que la métaphore de son titre sonne princière.
Cette chronique a pourtant toute légitimité en ce sens qu'elle s'inscrit dans le cinquantenaire aujourd'hui célébré de la mort du multi-artiste à un âge Nicksien (brrrr!!!). Et aussi, car Boris Vian au cours de sa brève existence a touché à tellements de styles, de la chronique au journalisme en passant par l'écriture et la musique jazz -il jouait de la trompinette !- son oeuvre est tellement vaste qu'il serait injuste de la réduire à ses seuls romans qui du reste, ne lui apportèrent nulle reconnaissance de son vivant.
C'est ainsi que nous nous intéresserons ici à l'oeuvre unique de Vian en terme de discographie. On le sait, le poète-musicien-écrivain a écrit des centaines de textes à la verve acidulée dont le flamboyant hit bondage "Fais-Moi Mal Johnny" chanté par la ravissante Magalie Noël. Cette chanson ne figure pas sur l'unique album 25 cm de Boris, véritable objet de collection puisque tiré à l'époque à 500 exemplaire... et qui côte dans les 500 euros aujourd'hui !!
Confronté (déjà !) aux tares de son époque, ou tout au moins moquant avec un humour ravageur les affres du progrès ("La Complainte du Progrès" et ses inénarrables "Viens m'embrasser/Et je te donnerai / Un frigitaire/ Un joli scooter / Un atomixer / Et du Dunlopillo"), l'alcoolisme "Je bois/ Systématiquement / Pour oublier / Les amis de ma femme" (tordant !), et bien sur les marchands de canons, les militaires : le mythique "Déserteur" au final beaucoup plus émouvant et consensuel que prévu par Vian initialement, et l'énorme "La Java des Bombes Atomiques" (ma préférée), dont je ne résiste pas au plaisir de citer ces vipérines rimes dédiées à l'apprenti sorcier nucléaire,"Voilà des mois et des années / Que j'essaye d'augmenter / La portée de ma bombe /Et je n'me suis pas rendu compt' /Que la seul' chos' qui compt' /C'est l'endroit où s'qu'ell' tombe" (...).
Disons-le : Boris Vian n'était pas un fin vocaliste, il était avant tout musicien de jazz ; et sa voix pouvait même se révéler parfois désagréable, criarde, comme sur l'hilarante comédie de moeurs "Bourrée de Complexes", qui conte le triste quotidien d'une ménagère, réduite à "changer de sexe" pour que tout soi "arrangé" !
Mais son verbe au vitriol, mordant et humoristique à la fois, s'avérait souvent irrésistible, et longtemps après, d'une réelle acuité, preuve cette charge entrevue dans " Les Joyeux Bouchers" sur la société de consommation, "Faut qu' ça saigne /Faut qu' les gens ayent à bouffer /Faut qu' les gros puissent se goinfrer /Faut qu' les petits puissent engraisser /Faut qu' ça saigne /Faut qu' les mandataires aux Halles /Puissent s'en fourer plein la dalle /Du filet à huit cent balles...."
Boris Vian mérite largement, en son cinquantenaire de décès célébré, d'être réévalué comme un authentique et génial touche-à-tout, intrinsèquement doué -l'homme était ingénieur et sortait de Centrale- ayant plus oeuvré à la cause des chansonniers que les chansonniers eux-mêmes, superbe esprit contestataire !, plutôt que d'incarner seulement cet éternelle icône rive gauche, uniquement associée à une poignée de romans adolescents vaguement surrélistes !
En bref : on oublie la voix approximative, le style pataud, et on prête une oreille attentive à cette irrésistible collection de billets d'humeurs visant ici et là la bombe A, le progrès, le cocufiage... et la viande rouge. Décapant !
un site dédié à l'oeuvre Vian, le site officiel
"La Java Des Bombes Atomiques" :