Le médecin : dieu ou héros déchiré ?

Publié le 23 novembre 2009 par Fuzzyraptor

Le médecin est souvent vu  comme une « grosse tête » qui a accompli entre 8 et 10 ans d’études après le bac, parfois un « virtuose » du bistouri, souvent un homme (ou une femme) qui croule sous le travail et n’a pas le temps d’avoir une vie privée.

Dans la littérature, le cinéma, la bande dessinée ou encore la télévision, c’est une autre affaire… Et c’était d’ailleurs le thème d’une journée d’étude à laquelle j’ai assisté vendredi dernier à l’Université Paris-7 Denis Diderot (voir le programme détaillé).

Commençons par les bandes dessinées et autres mangas. A bien y regarder, le médecin est souvent absent, remplacé par la figure plus générale du « savant ». Le professeur Tournesol est ainsi seulement un « pourvoyeur d’artefacts » pour reprendre l’expression de Jean-Luc Gangloff, c’est-à-dire celui qui apporte des inventions au héros, Tintin, pour que ce dernier puisse accomplir sa mission. Un autre exemple de savant qui me vient à l’esprit est « Q », l’inventeur facétieux et ami de James Bond.

Quid du médecin ? En France, seules des BD humoristiques, telle Les Femmes en blanc, présentent le médecin en activité… Bizarre non ? Au Japon, le médecin est présent dans des récits plus graves, tels ceux d’Osamu Tezuka (Black Jack, Kirihito) ou l’adaptation de Syuho Sato (Say hello to Black Jack).

Jean-Luc Gangloff oppose le savant au médecin dans la manière dont ils agissent dans l’histoire. Le premier n’est pratiquement jamais représenté en train de réfléchir tandis que le deuxième mène souvent une double enquête, médicale et policière…  L’intervenant résume les trois « types » de médecins qui apparaissent souvent dans ces mangas :

  • le héros dieu, central, parfait, jeune et indépendant
  • le héros comme centre d’une famille de papier : par exemple le « savant » de la bande
  • le héros déchiré, souvent cynique, insensible, ambigu, comme l’est Black Jack

Un médecin « déchiré » dans une série télévisée, vous en connaissez tous un : Gregory House (voir photo), héros cynique de la série éponyme, que  Sylvie Catellin qualifie de « transposition très réussie de la série policière à un hôpital ». House est le « spécialiste renommé des cas difficiles et possède toutes les caractéristiques de Sherlock Holmes (l’esprit brillant, l’ami fidèle et même la canne) ». Lui et son équipe se retrouvent à chaque épisode pour élucider un cas pathologique. Ils procèdent à un brainstorming musclé (ceux qui ont écouté les dialogues bourrés de termes médicaux me comprendront) dans lequel ils se livrent à « un diagnostic différentiel, pour traquer la maladie par élimination ». Rythme effréné, discussions houleuses, maladies non exclusives rendant le diagnostic incertain, probabilités, prises de risques… Si les maladies semblent parfois tirées par les cheveux, fiction oblige, la tension dans la recherche du diagnostic est réaliste, d’après Gérard Danou, autre intervenant de la journée, lui-même médecin.*

« Héros déchiré », Greg House l’est d’autant plus qu’il est placé en situation de patient, sa jambe douloureuse l’obligeant à prendre des antidouleurs auxquels il est accro… L’intérêt de la série est lié aux conflits entre House et son équipe ou ses supérieurs. La maladie évolue tout au long de l’épisode, source de suspense, et le rituel de House (s’enfermer seul pour méditer et identifier la maladie), offre un moment de répit. Dans certains épisodes, House va même jusqu’à bousculer l’éthique médicale. L’introduction d’idées progressistes dans la société américaine me semble d’ailleurs être l’apanage des récentes séries (notamment médicales). On n’y pense pas toujours en regardant Urgences, Scrub ou Grey’s Anatomy !

Après la petite lucarne, passons au grand écran et aux films d’Akira Kurosawa. Avec L’Ange ivre, Le Duel silencieux, Vivre et Barberousse, le réalisateur a souvent évoqué la médecine et les médecins dans son oeuvre. Dans le dernier film cité, il conte l’apprentissage d’un jeune médecin japonais formé aux techniques occidentales et « catapulté » dans un hospice « à l’ancienne » où tout lui répugne. Sa formation sera assurée par le directeur. Comme je n’ai pas vu le film (oups), je laisse à Céline Lefève le soin de l’expliquer. « Le jeune médecin devra choisir entre deux conceptions de la médecine : la médecine comme science d’une part et la médecine comme un art ou une technique, d’autre part ». La rencontre avec ses malades lui fera prendre conscience que la médecine « est un soin, un accompagnement des malades plutôt qu’une lutte contre la maladie ». Le jeune homme sera confronté tour à tour à la folie, au corps féminin, à la mort et à l’enfance.

Beau programme… Quant à moi, je vais de ce pas regarder un autre épisode de Grey’s Anatomy !