J'ai eu envie de lire ce livre après avoir vu la bande-annonce du film Le hérisson. Le sujet a m'attirée : l'histoire de Renée Michel, concierge vieillissante d'un immeuble bourgeois, en apparence laide, revêche et inculte qui est en réalité une femme extrèmement cultivée et autodidacte. Renée s'efforce de coller au cliché de la concierge et cache soigneusement son érudition, parce que dans le monde où nous vivons, chacun doit rester à sa place et on ne mélange pas torchons et serviettes. Ses riches voisins la snobent et sa seule amie est Manuela, une femme de ménage portugaise. Dans son immeuble habite Paloma, surdouée, en conflit permanent avec ses parents et sa soeur. Elle a décidé de suicider le jour de ses treize ans et en attendant écrit ses "pensées profondes". Et, un jour, un riche, séduisant et élégant Japonais emménage dans l'immeuble et va démasquer Renée...
Quand je l'ai feuilleté pour la première fois en rentrant chez moi, j'ai regretté mon achat, j'ai eu l'impression d'un style pédant et prétentieux. Puis, lorsque j'ai commencé à le lire pour de bon, j'ai admiré la qualité de l'écriture, même si le côté ampoulé, m'a agacé par moments. C'est un livre qui m'a agréablement surprise. Je ne m'attendais pas à le lire avec autant de plaisir.
En fait, il s'agit d'un roman de gare déguisé en oeuvre littéraire (ou l'inverse). Si l'on enlève toutes les références littéraires, philosophiques et artistiques -et elles sont nombreuses !- qui l'habillent, il ne reste en fin de compte qu'une histoire à l'eau de rose pour midinette. On frôle même parfois la comédie romantique hollywoodienne. La fin est, à mon avis, un peu trop mélo. Muriel Barbery n'a peut-être pas totalement assumé le côté "fleur bleue" de son livre et a, semble-t-il, voulu éviter la "happy end".
Et puis, il y a quelque chose de désespérant dans la morale de ce livre : d'abord, l'extrème solitude de Renée. Pendant cinquante-quatre ans, son amour caché pour les arts va rester solitaire -Comment peut-on aimer quelque chose sans jamais le partager avec qui que ce soit ?- Ensuite, Renée disparaît alors qu'elle commençait enfin à obtenir une reconnaissance de son voisinnage, comme si celle-ci était imméritée ou inconcevable et que le dialogue entre la modeste concierge et ses bourgeois de voisins était en fin de compte impossible. Et, finalement, chacun reste à sa place, les torchons avec les torchons, les serviettes avec les serviettes et Renée reste enfermée dans son image de concierge illettrée...
Malgré toutes ces critiques, j'ai plutôt apprécié cette lecture parce que le livre est bien construit, agréable à lire et, qu'au fond, j'ai une âme de midinette.
extrait : "Je me rends soudain compte qu'il y a de la musique.
Ce n'est pas très fort et ça émane de hauts-parleurs invisibles qui diffusent le son dans toute la cuisine.
Thy hand, lovest soul, darkness shades me,
On thy bosom let me rest.
When I am laid in earth
May my wrongs create
No trouble in thy breast.
Remember me, remember me,
But ah ! Forget my fate.
C'est la mort de Didon, dans le Didon et Enée de Purcell. Si vous voulez mon avis : la plus belle oeuvre de chant au monde. Ce n'est pas seulement beau, c'est sublime et ça tient à l'enchaînement incroyablement dense des sons, comme s'ils étaient liés par une force invisible et comme si, tout en se distinguant, ils se fondaient les uns dans les autres, à la frontière de la voix humaine, presque dans le territoire de la pliante animale -mais avec une beauté que les cris de bête n'atteindront jamais, une beauté née de la subversion de l'articulation phonétique et de la transgression du soin que le langage met d'ordinaire à distinguer les sons.
Briser les pas, fondre les sons.
L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme."
L'élégance du hérisson, Muriel Barbery, Folio, 410 pages.