Dès le premier récit, Magyd Cherfi nous interpelle: il est avec son groupe à la fin d'un concert. L'ambiance est pesante, il y a eu du grabuge...
Dès le premier récit, tout est là: la violence gratuite, absurde et désarmante; le communautarisme qui sans cesse le rattrape, le communautarisme qu'il aimerait tant fuir; les incompréhensions, la communication bancale, biaisée toujours et malgré tout.
Il y a aussi cette façon de manier l'écriture, de malmener les phrases amoureusement. On sent le baiser dans la bouche, la langue qui laisse échapper les mots. On se laisse happer par le tourbillon de la vie.
Et la trempe vient très vite à la lecture du deuxième chapitre: la cruauté des enfants, la dureté; la mère omniprésente, étouffante; les tabous et les interdits culturels; l'apprentissage de la langue; les échecs et les déceptions, le décalage toujours...
Il faut la gentillesse et la lucidité de Magyd Cherfi pour ne pas en pleurer.
Celui-ci nous offre de très belles pages sur l'amour maternel, extrême et encombrant, sur ces femmes qui vivent par procuration à travers la télé, dans l'ambition qu'elles ont pour leurs enfants. Il fait montre d'une grande pudeur par rapport à son père que l'on devine en filigrane, dur, empêtré dans des principes, enfermé dans une rigidité, une rigueur désolante: le silence.
Silence qui annonce l'échec de l'Amour; toujours le décalage, la retenue au sein du couple. La communication impossible, ces chaînes dont Magyd Cherfi n'arrive pas à se défaire: une incapacité à partager ses sentiments avec des mots, avec son corps...
Vient ensuite le dernier texte. En stigmatisant certains ministres par rapport à leurs origines, Magyd Cherfi commet, à mon sens, un faux-pas. Les récit précédents suffisaient à comprendre, à mettre en garde. Je suis triste et amer.
Et oui, Magyd, il existe des français d'origine (nord)-africaine qui sont à droite et c'est déjà du racisme de s'en étonner. C'est oublier le libre-arbitre.
Et je reprends le livre à la lumière du dernier chapitre (je n'y vois plus qu'un discours militant à l'ombre du communautarisme):
C'est faire peu de cas de tous les travailleurs pauvres qui ne sont pas (nord)-africains. C'est ignorer que les métiers les plus ingrats sont réservés aux personnes les plus fragiles, les plus exploitables: nouveaux immigrants, personnes en échec scolaire, en difficulté familiale; que des "réseaux" existent, des communautés se "partagent" (se réservent) certains emplois par une sorte d'entraide malheureuse (miséreuse). C'est oublier que la France ne se limite pas aux grandes villes et que des français de souche occupent les places derrière les camions-bennes et les marteaux-piqueurs. C'est reprendre les discours politico-médiatiques qui voudraient nous faire croire que les français d'origine (nord)-africaine ne sont pas intégrés. S'il y a un racisme de classe, il ignore la couleur et la race. L'argent n'a pas d'odeur, il exclut, il dédaigne, il fait mal.
C'est comprendre au fond, derrière les mots de Magyd Cherfi, qu'un arbre déplacé met du temps à reprendre racine, que l'apprentissage de la langue est la meilleure des armes pour pouvoir se construire et que la politique corrompt tous les discours, même les plus justes, les plus sincères.
-Monsieur-
de Magyd Cherfi (on peut écouter certaines chansons de Zebda et de Magyd Cherfi gratuitement sur Deezer.)
aux éditions Actes Sud
2007