Hiver au Proche-Orient...

Par Sylvie

D'ANNE-MARIE SCHWARZENBACH
Récit de voyage

Éditions Petit Bibliothèque Payot/Voyageurs
Anne-Marie Schwarzenbach (1908-1942) est, avec Ella Maillart et Alexandra David-Neel, l'une des plus célèbres "écrivaines" voyageuses. Sa forte personnalité supporte mal le milieu zurichois étriqué dont elle est originaire. Proche de la famille Mann, elle devient rapidement antifasciste. Mais plutôt que de s'engager, elle préfère voyager. Romancière et très intéressée par l'Histoire et l'archéologie, elle part pour un périple au Moyen-Orient en 1933-1934.
Ce titre est le récit de ses aventures.
Turquie, Syrie, Irak, Perse ; plus de 10 ans après la chute de l'Empire Ottoman, Anne-Marie Schwarzenbach  nous plonge dans l'Orient des archéologues (la Syrie et l'Irak sont sous mandat français et anglais après la chute de l'Empire Ottoman, ce qui favorise le développement des fouilles archéologiques) , l'Orient des ruines babyloniennes et héllénistiques, mais aussi dans le contexte géopolitique de l'Orient dans les années 30 : ressentiments vis-à-vis de l'ex-occupant turc, montée des nationalismes...
Le tout raconté dans une écriture à la fois très épurée et poétique qui magnifie les paysages de sable et de montagnes : description de levée et coucher du soleil, des tempêtes de sable etc...
Les sites archéologiques sont décrits, non par les yeux d'une spécialiste, mais surtout comme un vecteur de méditation visant à décrire le caractère d'un peuple, grandeur et décadence du peuple perse, par exemple.
Grâce à ce récit, nous découvrons la diversité des paysages de l'Orient (déserts, montagnes, zones marécageuses et portuaires le long de la Mer Caspienne, là où l'on pêche l'esturgeon) mais aussi et surtout sa diversité culturelle.
Alors que la Turquie divine son saint laïque ( Mustapha Kemal Ataturk) et interdit tout autre dévotion à des saints, Anne-Marie Schwarzenbach décrit l'Irak comme un pays de villes saintes, celui des saints chiites, les descendants du prophète Ali, martyrs de la foie, qui font de ces villes (Nadjaf, Kerbela, Kufa)  des cimetières à ciel ouvert et des citadelles fermées :
" En leur milieu s'élevait une coupole dorée dont la splendeur rayonnait de toutes parts. La ville avait pourtant quelque chose d'irréel; à la voir si blafarde à l'horizon, on eut été tenté de la croire habitée par des esprits plutôt que par des hommes, et le deuil éternel, raison de son existence, flottait comme un oriflamme dans le ciel trop pâle. A notre approche, les maisons et les rues prirent des contours plus précis. Devant les remparts s'étendaient des tombes, et rien ne faisait mieux comprendre cette ville que ce jardin des morts qui se nourrissait d'elle et qu'il fallait traverser pour atteindre le quartier des vivants"
Asie des bédouins, Asie de l'Islam,Asie des archéologues et des aventuriers, Asie des manoeuvres géopolitiques anglaises et françaises ; Anne-Marie Schwarzenbach nous fait découvrir une Asie riche en diversité et hypnotique.

A lire avant ou après le chef d'oeuvre de Nicolas Bouvier, L'usage du monde, écrit vingt ans après.