Mes hommages, les gens
Quiconque a déjà découvert, dans le miroir d’un ascenseur le propulsant verticalement vers un rendez-vous fort important, une traînée de dentifrice dans ses cheveux, s’est sans doute posé cette question: Me serais-je lavé les dents avec le shampoing? Interrogation légitime, suivie d’une foule d’autres. Suis-je gaga? Où se cache la caméra de Tchernia? Comment vais-je me débarrasser de ce machin?
Quiconque a déjà découvert une traînée de dentifrice dans ses cheveux un matin d’hébétude ordinaire sent un gouffre s’ouvrir sous ses pieds. Surtout quand il s’aperçoit, dans un éclair de conscience blafarde, que le rendez-vous fort important vers lequel le propulse verticalement l’ascenseur n’est en fait prévu qu’une semaine plus tard. Le dentifrice s’accroche à la mèche. L’ascenseur file vers un rendez-vous fantôme. Et le miroir réfléchit la tête d’un abruti en train de frotter nerveusement sa chevelure avec un mouchoir en papier, qui se pulvérise en une nuée de petits bouts blancs.
Quiconque est déjà arrivé à un rendez-vous avec une semaine d’avance et la tête pleine de pellicules de Kleenex mélangées à du dentifrice, comme nous l’autre matin, sait pertinemment qu’il y a des jours où il faudrait peut-être songer à rester chez soi.
Par exemple pour bricoler, en sifflotant d’un air dégagé et d’un gosier enjoué, une échine de cochon aux agrumes, pastis et légumes d’avant-hier; une recette mijotée, savoureuse et vivifiante, à l’excellent rapport besogne en cuisine/satisfaction buccale. Car ce ne sont pas les plats les plus fastidieux à échafauder qui bottent le plus en bouche. Et vice versa. Méditons cela.
Pour deux personnes (ou trois personnes toutes petites et sans appétit, ou pour une seule personne gigantesque et affamée par six ans de jeûne draconien en cellule de dégrisement), volez une tranche d’échine (ou cou par ici) de cochon épaisse comme trois doigts, joyeusement entrelardée, flirtant avec les 400 grammes; plus une lime, une orange, de la cardamome en poudre, trois clous de girofle, un doigt de pastis, une grosse carotte, une racine de persil et un topinambour dodu.
Pressez l’orange et le citron vert.
Dorez la viande sous toutes les coutures au fond d’une cocotte.
Déglacez d’une giclée de pastis.
Ajoutez le jus d’agrumes et les clous de girofle.
Salez, poivrez, saupoudrez largement de cardamome.
Laissez glouglouter quelques minutes. Intégrez les légumes.
Laissez cuire tranquilou, à couvert, 45 minutes.
Rectifiez l’assaisonnement. Tranchez le cochonou en jolies tranches. Coiffez de fleur de sel. Et servez dare-dare, avec une polenta crémeuse et un jéroboam d’un très bon blanc sec, dont on vous laisse le choix.
Aimeriez-vous vraiment qu’un crétin avec la chevelure pleine de bouts de mouchoir en papier collés à du dentifrice décide du pinard à votre place?
Tchou, bonsoir