La Colombie en Amérique Latine : Unité nationale-Isolement régional
Réélu avec plus de 60% des voix en 2006, le Président A. Uribe prépare sa campagne électorale de 2010 tout en faisant face à un isolement régional croissant. Depuis l’annonce de la mise à disposition de sept bases militaires colombiennes au profit des Etats-Unis, la tension entre la Colombie et ses voisins Equatorien et Vénézuélien s’exacerbe, renouant ainsi avec un passé conflictuel. Ce conflit renforce l’isolement d’A. Uribe sur le continent, qui subit les critiques de ses homologues latino-américains, en particulier de la part du leader du mouvement bolivarien, H. Chavez. Pour sortir de cette situation, le gouvernement colombien ne s’oriente pas vers des coopérations avec les pays membres de l’Unasur. Il préfère mener un combat politique frontal avec ses voisins immédiats, en renforçant ses liens avec les Etats-Unis. Le contrôle du marché énergétique sera le pendant économique de cet affrontement.
Politique énergétique Colombienne : vers un contrôle global et transversal
La Colombie dispose de ressources naturelles importantes. Deuxième pays de la zone par son potentiel hydroélectrique, il fait parti des 6 pays de la région dont les réserves d’hydrocarbures sont les plus importantes. Pour valoriser ses richesses naturelles, le gouvernement d’A. Uribe s’est fixé plusieurs objectifs : maintenir son auto-suffisante pétrolière jusqu’en 2017; développer la production de biocombustibles ; moderniser ses infrastructures ; attirer des investissements étrangers.
Cette politique incitative profite au champion national en matière de pétrole et de gaz, Ecopetrol. Compagnie nationale intégrée verticalement, c’est l’une des quatre plus importantes en Amérique latine. Avec une production, en 2008, de 447 300 barils de pétrole par jour, Ecopetrol mène un plan d’expansion ambitieux dans les domaines de l’exploration et de la production pétrolière. Son objectif déclaré est de produire 1 million de barils par jour en 2015. Aussi, elle multiplie les accords stratégiques avec des compagnies pétrolières : avec la Brésilienne Petrobras ou la Coréenne KNOC pour exploiter et produire des hydrocarbures au Pérou, autre producteur majeur de la zone. Ecopetrol se positionne également sur le marché des biocarburants et étend progressivement ses activités sur 14 unités de production, afin de produire 486 000 tonnes de biocombustibles d’ici 2011.
Autre acteur étatique, le groupe ISA, spécialisé dans le transport d’énergie, complète cette stratégie sur le plan financier, caractérisée par des fusions-acquisitions continues. Ses nombreuses filiales étrangères lui permettent de contrôler 91% des voies de communication énergétique du Pérou, 17% du Brésil et 25% de la Bolivie. Grâce à ces acteurs et aux incitations faites par le gouvernement pour attirer les investissements étrangers, la Colombie veut devenir une référence en matière énergétique dans la zone. Mais, pour que cette politique soit efficace, le gouvernement colombien doit assurer un niveau de sécurité suffisant aux entreprises, niveau qu’elle n’arrive pas à atteindre seule.
Problème sécuritaire et solution américaine
Pour inciter les investisseurs étrangers à venir en Colombie, l’Agence Nationale d’Hydrocarbures met en avant le potentiel des réserves non exploitées du pays, l’amélioration de la stabilité économique, confirmée par l’agence de notation américaine Standard & Poor’s, sa position géographique privilégiée… Mais, si les découvertes de nouveaux gisements pétrolifères et leur exploitation croissante favorisent le développement économique du pays, la Colombie reste affaiblie par une corruption latente, un trafic de stupéfiant massif et surtout par les violences politiques commises par la guérilla terroriste des FARCs (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes).
Premier producteur mondial de cocaïne (600 tonnes annuelle), le narcotrafic et la guérilla menée par les FARCs affaiblissent le pays depuis plus de 40 ans. Financés par l’argent du trafic de drogue, les FARCs ont mené une insurrection à l’encontre du gouvernement et des paramilitaires d’extrême droite, terrorisé la population et enlevé plus de 750 personnes. Cette guerre civile est à l’origine de plus de 200 000 morts.
Ce mouvement révolutionnaire est d’autant plus gênant pour la politique énergétique du gouvernement Uribe que les territoires FARCs se situent sur les ressources naturelles stratégiques : dans le nord-est et au sud du pays. Nouveau chef des FARCs depuis 2008, Alfonso Cano a initié une nouvelle politique d’insurrection urbaine. Il organise le noyautage des universités publiques, grâce à des étudiants affiliés au « Movimiento Juvenil Bolivariano » qui mènent des actions de propagande dans les universités publiques, comme à Bogota en mars 2008.
Elu en 2002 grâce à une campagne orientée sur la sécurité, A. Uribe (dont le père a été assassiné par les FARCs) mène depuis une guerre sans merci contre la guerilla, avec l’appui du gouvernement américain. Depuis 2000, la Colombie a reçu plus de 5 000 milliards de dollars d’aides américaines dans le cadre du « Plan Colombia ». Ce «plan pour la paix, la prospérité et le renforcement de l’État », lancé en 1999 pour lutter contre la production de drogue, s’est depuis étendu à la lutte contre le terrorisme. C’est dans ce cadre que la Colombie a accepté de mettre à disposition de Washington sept bases militaires, constituant ainsi pour les États-Unis une base avancée pour la projection de forces terrestres ou aériennes en Amérique Latine. Cette extension du champ d’application du plan Colombie est donc en réalité un prétexte pour justifier l’occupation terrestre par des militaires américains, les Etats-Unis se rapprochent ainsi des ressources naturelles et stratégiques de la région pour mieux les contrôler.
Alavro Uribe et l’Union des Nations Sud-Américaines
Deux modèles d’intégration s’opposent en Amérique latine. Des pays comme le Chili, le Pérou et la Colombie veulent privilégier des accords commerciaux bilatéraux avec les Etats-Unis ; d’autres gouvernements, non alignés sur Washington, cherchent plutôt à développer l’intégration régionale. L’Unasur, a été crée en mai 2008 pour répondre à cette deuxième logique. Douze pays latino-américains veulent « construire une identité et une citoyenneté sud américaine, et développer un espace régional intégré au niveau politique, économique, social, culturel, environnemental et énergétique pour contribuer au renforcement de l’unité de l’Amérique latine et des Caraïbes ». Participant dès sa création à l’Unasur, la Colombie continue pourtant de mener une politique pro-américaine et ne favorise pas de coopération particulière avec d’autres pays membres.
A.Uribe adopte une position originale. Soumise aux Etats-Unis, la Colombie pourrait à terme émerger comme acteur régional puissant. A plus court terme, cette stratégie permet à A.Uribe de conserver le soutien de ses électeurs: la gestion du président est approuvée à 70% par la population, et, s’il y avait un referendum, prés de 60% de la population voterait en faveur d’une modification constitutionnelle permettant au Président de briguer un troisième mandat. Cette popularité s’explique notamment par l’antipathie générale en Colombie, générée par les attaques proférées par les pays voisins sous l’influence d’H.Chavez.
Au niveau national, les deux principaux partis de l’opposition, le Parti Libéral Colombien et le Pôle démocratique Alternatif, mènent également une politique de dénigrement à l’encontre du président colombien. A. Uribe est accusé d’entretenir des liens étroits avec des groupes paramilitaires ainsi qu’avec le cartel de narcotrafiquants de Medellin, sa ville natale, dont il a été maire de 1982 à 1983. Plus récemment, l’opposition a critiqué sa volonté de modifier la Constitution pour permettre sa réélection en 2010, et l’accuse d’être un « dictateur populiste ». Son gouvernement est régulièrement soupçonné de corruption et de détournement de fonds. Malgré ces attaques, la politique de fermeté menée par le président contre la guérilla gauchiste et le narcotrafic lui assure toujours un soutien populaire très important : la majorité de la population considère qu’il est un président « irremplaçable ».
MAURIN Mathilde