Des pistes qui rapportent

Publié le 22 novembre 2009 par Toulouseweb

Aéroports de Paris se porte bien, merci !
C’est une entreprise forte qui réalise un chiffre d’affaires annuel de près de deux milliards et demi d’euros, très parisienne par vocation. Elle est propriétaire d’imposantes galeries marchandes, se développe actuellement dans l’immobilier, mais se consacre aussi à l’aviation commerciale, sa raison d’être originelle. Il s’agit, on l’a deviné, d’Aéroports de Paris.
Comme d’autres sociétés de sa spécialité, ADP est cotée en bourse et évoque avec fierté ses investissements, ses résultats financiers, ses ratios. Son parc immobilier est d’une richesse telle qu’elle pourrait sans doute se passer de ses nombreuses aérogares. Ses actionnaires ne l’avoueront évidemment pas mais, secrètement, ils pensent que la vie serait plus tranquille, la rentabilité mieux assurée, s’il ne fallait vivre avec les cycles répétitifs de basse et haute conjoncture de l’aérien.
ADP n’en fait pas moins contre mauvaise fortune bon cœur et, qui plus est, en ces temps de récession, nous vaut une bienvenue bouffée d’air frais au cœur d’un océan de problèmes. En effet, malgré les inextricables difficultés actuelles des compagnies aériennes, ADP maintient le cap. Son PDG, Pierre Graff, reconnaît volontiers que l’exercice 2009 ne sera pas catastrophique, au pire une année blanche. Une première confirmation est d’ores et déjà disponible : au cours des trois premiers trimestres, le chiffre d’affaires d’ADP a atteint 1,97 milliard d’euros, soit une progression honorable de 4,8%.
Reste la manière d’en parler, d’évoquer les turbulences actuelles, avec un choix des mots qui fleure bon la reprise plus ou moins prochaine. De quoi faire pâlir d’envie le directeur général de n’importe quelle compagnie aérienne.
Invité du Tomato, club inclassable de grands anciens de l’aéronautique française, Pierre Graff a implicitement reconnu qu’il dispose d’atouts exceptionnels. Paris est un remarquable «gateway» européen doté d’équipements qui lui permettent de bien assumer ce rôle. A commencer par deux doublets de pistes qui font des précieux créneaux de décollage et d’atterrissage une denrée moins rare qu’ailleurs.
Qu’on aime ou pas le béton armé et les architectures dépouillées, Roissy-Charles de Gaulle remplit son contrat, de même qu’Orly, à la nuance près qu’un rafraîchissement s’impose pour cacher ici et là l’outrage des ans.
Les vrais problèmes sont ailleurs. ADP, comme toute autorité aéroportuaire, ne contrôle pas toute la chaîne du transport aérien. Bien au contraire, aérogares et boutiques mises à part, l’autorité aéroportuaire doit se contenter d’offrir des mètres carrés à d’autres acteurs. Et c’est là que le bât blesse.
Pierre Graff dit spontanément qu’il n’est pas dupe. Il faudrait imprégner les personnels, tous les personnels, d’une culture du service qu’ignore, par exemple, la police aux frontières. Aussitôt descendus de leur avion, les passagers découvrent souvent d’interminables files d’attente justifiées, soit par un manque chronique d’effectifs, soit par leur gestion aléatoire. Puis, souvent, les bagages tardent à être livrés.
Viennent ensuite d’autres épreuves : les chauffeurs de taxi renfrognés, les incessants bouchons tout au long de l’autoroute du Nord. Ou, variante, l’achat d’un billet de RER pour ensuite découvrir des rames par toujours très nettes. Ou, ce que Pierre Graff n’ose guère mentionner, la variante durcie, celle d’une grève de personnels de la SNCF, avec informations inaudibles et de toute manière unilingues.
Il faudrait tout remanier. ADP fonctionne malgré ces lourds handicaps, n’oubliant pas que ses aérogares constituent les premières images soumises aux voyageurs étrangers à l’instant même de leur arrivée en France. Des images tout à fait honorables mais qui ne peuvent évidemment pas masquer les dysfonctionnements imputables aux autres maillons de la chaîne.
Du coup, on pardonne volontiers à Pierre Graff son enthousiasme, son emphase, dès qu’il est question de boutiques de produits de luxe ou encore de grandioses programmes immobiliers. Après tout, c’est de bonne guerre. Mieux, ADP souffrirait certainement de reproches véhéments s’il ne tirait pas un bon parti de ces cadeaux tombés du ciel. C’est aussi une manière de nous rappeler, bien involontairement, que l’industrie des transports aériens est décidément différente des autres. Les optimistes disent que cette originalité fait tout son intérêt. D’autres rétorquent que, si c’était possible, ils voyageraient exclusivement en TGV.
Pierre Sparaco - AeroMorning