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magnificent – tri(o)

Par Collectifnrv
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Pour célébrer la vingtième édition des « Rencontres cinématographiques de la Seine-Saint-Denis – 2009 », les organisateurs ont eu l’heureuse idée de mettre à l’honneur Claude Chabrol. Parmi les différentes manifestations auxquelles il a participé, ceux-ci lui ont proposé de choisir un film à l’Espace 1789 (Saint Ouen). Cela aura été Fury, de Fritz Lang, qui a surtout servi de prétexte pour discuter plus généralement de l’influence du cinéaste allemand sur son travail. Et, c’est Jean-François Rauger (critique cinéma au journal Le Monde, et actuel directeur de la programmation à la Cinémathèque française) qui a été sollicité pour servir d’interlocuteur. Ci-après, on trouvera une retranscription de mémoire, « fiable » à 85 % près, de cet échange d’environ une heure trente. Quelques passages ont été volontairement omis : « les cinéastes borgnes », « les films pairs-impairs », « la fortune critique des films de Lang », une allusion au film Le Samouraï, de Melville, et les réponses (parfois savoureuses) aux deux questions du public, etc. Désolé par avance pour certaines approximations, s'il y a lieu. On signale toutefois à l'attention des plus sceptiques que les responsables ont pris l’initiative d’enregistrer cette rencontre par vidéo ; et qu’on en retrouvera une trace sans doute un jour sur la Toile, ou sur un bonus DVD... - Bonjour Claude Chabrol... Merci d’avoir accepté de venir pour cette « leçon » de cinéma, même si c’est toujours un peu présomptueux de parler de « leçon », mais disons, cette rencontre. On vous a invité pour que vous nous parliez de votre rapport à Fritz Lang. Mais, tout d’abord, je voudrais vous poser une première question toute simple : quel est le premier film de Fritz Lang que vous avez vu ? CC : Attendez... le premier, c’est celui-là... Oui, parce que l’autre, c’est après... Je débarquais de province, et je suis allé à Paris. J’avais 16 ans, et c’était Le Testament du docteur Mabuse, dans un ciné-club de la rue de l’Entrepôt, qui doit s’appeler maintenant, la rue Bréguet, je crois. A la fin du film, je me suis levé, et comme un vieux cacochyme, j’ai pointé mon doigt en avant, comme ça (il fait le geste) : « C’est ça... c’est ça ! » Bref, à ce moment-là, j’ai su que je voulais faire des films. Et puis après, j’en ai parlé autour de moi, et on m’a dit : « Oh, tu as vu celui-là... mais il faut voir M, le maudit !!! » Bon, moi, j’écoute ce qu’on m’dit, et je suis allé voir M, le maudit. J’ai trouvé ça formidable, bien sûr ! Et j’en parle autour de moi, et là, on me dit : « Oh, mais tu n’as pas vu Metropolis alors ? » - Ben non. « Mais, il faut voir Metropolis !!! » Donc, je vais voir Metropolis, et je trouve ça là encore formidable ! Depuis, j’essayais de voir tous les Fritz Lang. Et, à l’époque, on est dans l’après-guerre, en 46. Il faut savoir que les films américains de l’entre-deux-guerres ne sont pas diffusés, alors, il y a des gens à la Libération qui se disent qu’ils vont se faire du pognon dessus, alors, ils passent les films américains de Fritz Lang. Il y a eu tout d’un coup au même moment : Les Bourreaux meurent aussi, Man hunt, La Femme au portrait... - Dans votre livre de mémoires Et pourtant, je tourne, vous parlez du Testament du docteur Mabuse ; et vous dites que c’est ce film qui vous a décidé à faire du cinéma. J’ai choisi comme premier extrait le début de ce film : on en parle après, si vous voulez bien... ***extrait n° 1. Séquence du début tout juste après le générique : panoramique vers la droite de la porte jusqu’à l’homme derrière la malle, jusqu’à l’explosion du baril dans la rue passante. Durée : env. 6 mn)*** - On a souvent dit de Fritz Lang que c’était un cinéaste du destin... CC : Ah, oui, le fifty-fifty ! - Là, dans la séquence que nous venons de voir, le personnage s’est fait repérer par les bandits, et, Lang crée ensuite une angoisse chez le spectateur sur ce que qui va devrait arriver fatalement... Alors, je voulais vous demander : Claude Chabrol, la fatalité, pour vous, vous la voyez comment ? CC : Ah ! Fritz Lang, il avait sa règle du « 50-50 » : les choses qui nous arrivent, c’était cinquante pour cent le monde extérieur, et cinquante pour cent, nous. Oh, pour moi, je dirais que ce serait plutôt « 30-70 ». Et, le trente est du côté des éléments extérieurs, et les soixante-dix pour nous. - Qu’est-ce qui vous a plu dans les films de Lang ? CC : L’efficacité, et la précision. A tel point qu’il pouvait ses brouiller avec ses acteurs... notamment avec sa camarade... euh, Marlène Dietrich, dont on sait qu’ils ont eu une histoire ensemble... C’était pour le western... - Rancho notorious... L’Ange des maudits. CC : Oui. Et, donc, Lang, il mettait des bouts de scotchs au sol, et ça agaçait Marlène, parce qu’elle disait qu’elle ne pouvait pas marcher comme ça ! Alors que pour Lang, il en avait besoin pour lui donner une marche... euh, masculine ! Mais, les films de Fritz Lang, tout précis soient-ils, ils ont un défaut, je trouve, surtout avec les derniers, c’est la sécheresse. Le dernier film américain, c’est ça, même si c’est justifié par le sujet : la peine de mort. Et puis, il était germanique, et surtout anti-romantique. Moi aussi, d’ailleurs ; mais, mon anti-romantisme n’est pas le sien. Et puis, pour un anti-romantique, je suis un peu romantique aussi. Là, on vient de projeter Fury ; et ce que je trouve formidable dans ce film, c’est que personne ne peut juger, parce que nous sommes tous pareils. - Pour le deuxième extrait, j’ai choisi une scène dans Les Bourreaux meurent aussi, que vous évoquez aussi dans vos mémoires... C’est la scène dans les vestiaires, quand Alexander Granach (le commissaire Gruber) va chercher le docteur Svobada [Brian Donlevy]. Svoboda, ça veut dire « liberté ». CC : Ah ! Granach, il était très bien dans ce film ! - Oui. Et, c’est le seul personnage jovial et bon vivant... mais, on va d’abord voir l’extrait. ***extrait 2. Le commissaire Gruber attend que les médecins sortent de la salle d’opération, et appréhende le docteur Svoboda. Comme il demande un coin tranquille pour parler, Svoboda l’emmène dans les vestiaires. Fin de la séquence : le chapeau melon tourne sur lui-même. Durée : env. 5 mn*** CC : Là, l’idée que j’aime bien, c’est que « deux, c’est pas assez », et donc, il en faut un troisième ! Vous voyez que dès que le troisième arrive, tout arrive très vite. D’ailleurs, on le voit d’abord en ombre sur la vitre de la porte. Donc, on ne peut pas vraiment savoir qui c’est... - Et Granach, à mesure que ses adversaires avancent, le collent contre un mur blanc, dénudé, avec rien autour... CC : Et puis, dès que le troisième apparaît, et qu’il comprend la situation, tout se précipite... - Dans vos mémoires, vous parlez du chapeau... CC : Ah, ça, oui ! Je trouve ça bien, lorsqu’un objet suffit à donner le personnage, ce qui lui arrive. Là, le chapeau tombe, et tourne sur lui-même. Le spectateur comprend que c’est fini pour l’autre. Il n’y a pas besoin d’autre chose. C’est bien, euh... C’est bien, quoi ! - Et puis, le commissaire joué par Granach, c’est le seul personnage jovial et bon vivant ; rond et gras... CC : C’est normal, il est du côté des vainqueurs... - Les autres, ils sont droits et figés... CC : Vous savez, Fritz Lang adorait les caricatures. Alors, à un moment, c’est vrai, on dirait qu’ils ont des attitudes caricaturales. Par exemple, quand Granach claque des doigts (il mime le geste) – il le fait trois ou quatre fois dans le film – à l’écran, ça passe très bien, mais, on ne ferait pas ça dans la vie. Et puis, il est Viennois, avec l’esprit germanique. Et, c’est quand même les Allemands qui ont inventé l’expressionnisme ! - Et la bagarre aussi à la fin, quand ils se servent des serviettes pour l’étouffer... CC : Ah, oui, la bagarre ! Il y a une scène un peu comme ça dans Cape et poignard... Quand ils se battent, on voit des mains sur les visages... Lang, il a demandé aux acteurs de mettre les doigts comme ça (il fait le geste) qui enfoncent les yeux de l’autre ! Je ne sais pas pourquoi, mais il adorait ça... (rires)
[à suivre]
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par Albin Didon


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