Belle à croquer

Publié le 22 novembre 2009 par Boustoune

Début 2008, on découvrait Juno, une sympathique comédie indépendante qui décrivait avec humour et justesse les déboires d’une adolescente tombée enceinte par accident. La réussite du film tenait autant à l’interprétation brillante d’Ellen Page dans le rôle-titre qu’au talent d’écriture de la scénariste Diablo Cody.
Pour Jennifer’s body, son second scénario pour grand écran, la jeune femme a choisi de changer radicalement de style en écrivant un récit horrifique. On y voit une belle lycéenne, Jennifer, se trouver un beau jour possédée par un démon. Succube féroce dissimulée dans un corps de rêve, elle séduit et dévore les jeunes mâles de son quartier au vu et au su de sa meilleure amie, Needy, qui va tout faire pour stopper ce bain de sang… Rien à voir avec les gentilles interrogations métaphysiques de Juno…
 
Pour autant, Jennifer’s body est une œuvre qui possède plusieurs niveaux de lecture et qui développe, en filigrane, les thèmes déclinés dans le film de Jason Reitman : le passage de l’adolescence à l’âge adulte, la recherche de sa propre identité…
Ainsi, on peut voir dans la métamorphose de la lycéenne en monstre une allégorie de la transformation de la nymphette en femme. Un changement qui, ici, est associé aux premières expériences sexuelles et aux premières manifestations du désir chez la jeune fille. Lorsque Jennifer recrache le sang de ses victimes, on peut voir cela comme une métaphore, au choix, des premières règles ou de la perte de la virginité. Et le feu qui ravage le bar la nuit où elle se retrouve transformée en succube peut symboliser désir ardent que lui inspire le sexe opposé. Le film est truffé d’éléments qui évoquent cette étape délicate, parfois traumatisante, dans la vie d’une femme.
On peut aussi aborder le film sous l’angle de la confusion sexuelle, qui, parfois, peut frapper les adolescents. La relation fusionnelle qui unit Jennifer et Needy semble plus forte qu’une simple amitié et laisse à penser qu’il y a une forme de désir saphique entre les deux filles. L’ambiguïté est savamment entretenue par Diablo Cody tout au long de son scénario, ménageant même une jolie scène de baiser lesbien entre les deux personnages. Là encore, c’est l’irruption des garçons dans la vie bien rangée des deux adolescentes qui sème le trouble et qui scelle la fin de l’amitié - ou de l’amour- entre Jennifer et Needy.
En fait, fondamentalement, le film dépeint la confusion qui gagne les jeunes filles à un moment charnière de leur existence, les obligeant à reconsidérer leurs priorités, à faire du tri dans leurs sentiments.
 
A partir de là, l’œuvre aurait pu s’ouvrir à d’autres possibilités d’interprétation. On aurait pu considérer, par exemple, que toute cette histoire de démon n’est que le fruit de l’imagination d’une Needy particulièrement perturbée, traumatisée par sa première expérience sexuelle avec un garçon – un fiasco où la jeune femme est perturbée par des flashs sanglants – et par la séparation de plus en plus manifeste avec Jennifer. Et que le seul démon de l’histoire n’était que celui de la jalousie qui ronge l’un ou l’autre des deux personnages principaux, les faisant basculer dans la folie?
Hélas, ni Diablo Cody, ni la cinéaste Karyn Kusama n’exploitent cette option scénaristique qui aurait donné une autre dimension au film. Certes, on n’attendait pas un nouveau Mulholland drive, mais on pouvait espérer un peu mieux que le développement au premier degré d’un script plutôt riche en symboles et perspectives d’analyse. Ce qui commençait comme une belle métaphore du malaise adolescent, des transformations du corps liés à la puberté et de l’acquisition de la maturité redevient au fil des minutes une simple série B horrifique sans relief et le film finit par décevoir un peu sur tous les tableaux.
Pas assez terrifiant pour un film d’horreur – passé la première apparition de Jennifer en succube, on ne sursaute plus vraiment – pas assez drôle dans ses partitions humoristiques, pas assez émouvant quant au destin de ses personnages, et pas assez émoustillant dans ses scènes « chaudes »…
 
Dommage car le film bénéficie d’une interprétation intéressante, le duo Megan Fox/Amanda Seyfried fonctionnant bien. La première montre qu’elle n’est pas qu’une actrice sexy – et elle l’est terriblement – elle réussit à être convaincante tant en bombe sexuelle qu’en adolescente perturbée et en créature inquiétante. La seconde laisse entrevoir les failles qui s’ouvrent en son personnage et entretient intelligemment un certain flou autour de son personnage et des liens qui l’unissent à Jennifer. Seul bémol, elle est trop mignonne pour être totalement crédible en copine laide et godiche…
Jennifer’s body est donc loin d’être le nanar tant fustigé dans la presse spécialisée, mais il n’est pas à la hauteur de ce que son script pouvait laisser espérer. Au final, il s’agit juste d’un banal film d’horreur, vite oublié, qui s’élève au-dessus de la moyenne grâce à quelques trouvailles de mise en scène – le montage parallèle entre le dépucelage de Needy et un meurtre de Jennifer – et au jeu de ses actrices – sans oublier leur plastique à faire damner un saint. Bref, on a bien le corps, on aurait aimé un peu plus de tête…
Note :