Une mine qui explose au coeur du désert marocain et, des années plus tard, une balle perdue qui vient se loger dans son cerveau... Bazil n'a pas beaucoup de chance avec les armes. La première l'a rendu orphelin, la deuxième peut le faire mourir subitement à tout instant. A sa sortie de l'hôpital, Bazil se retrouve à la rue. Par chance, ce doux rêveur, à l'inspiration débordante, est recueilli par une bande de truculents chiffonniers aux aspirations et aux talents aussi divers qu'inattendus, vivant dans une véritable caverne d'Ali-Baba : Remington, Calculette, Fracasse, Placard, la Môme Caoutchouc, Petit Pierre et Tambouille. Un jour, en passant devant deux bâtiments imposants, Bazil reconnaît le sigle des deux fabricants d'armes qui ont causé ses malheurs. Aidé par sa bande d'hurluberlus, il décide de se venger…
Dans Micmacs à tire-larigot, Jean-Pierre Jeunet part en guerre contre les « marchands de mort », fabricants et trafiquants qui s’enrichissent en vendant des fusils, des grenades, des obus et autres gadgets meurtriers. Il le fait avec ses armes à lui : l’humour et la poésie.
On ne sera donc pas étonné de le voir opposer aux canons réels un improbable homme-canon (Dominique Pinon, toujours aussi à son avantage devant les caméras de son cinéaste fétiche), de substituer aux rafales de balles des rafales de mots – ceux, loufoques, de Remington (Omar Sy)… Chez Jeunet et sa galerie de trognes attachantes, le métal ne finit pas en éclat de mine antipersonnel, ne se barre pas en douilles, mais est élégamment recyclé en bouquet de fleurs inoxydables ou en automates amusants, comme ceux que fabrique le génial Petit Pierre (Michel Crémadès).
Certains des détracteurs de Jean-Pierre Jeunet ne manqueront pas de fustiger le côté naïf de cette opposition entre les petites gens, marginaux et sans grade, contre les affreux businessmen, plus préoccupés par leur chiffre d’affaires que par les conséquences de l’utilisation des armes qu’ils vendent. Ils n’auront pas tort : l’histoire tombe souvent dans le piège d’un manichéisme assez niais. Il manque la noirceur que Marc Caro, l’ex complice du cinéaste, savait apporter à leurs œuvres communes (Delicatessen, La Cité des enfants perdus). C’était déjà le cas dans les deux œuvres précédentes de Jeunet, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain et Un long dimanche de fiançailles, mais cette lacune était compensée par des trouvailles visuelles de génie et un découpage totalement maîtrisé. C’est moins le cas ici.
L’esthétisme du film n’est pas en cause. Si l’excellent Bruno Delbonnel a été remplacé par Tetsuo Nagata au poste de directeur de la photo, on reconnaît malgré tout entre mille les particularités visuelles de l’univers du cinéaste, tout en images veloutées, teintes sépia au charme désuet et lieux étranges truffés d’objets hétéroclites. C’est juste que l’effet de surprise ne joue plus vraiment et que le cinéaste peine à se renouveler. Oh, il ne manque pas grand-chose, seulement une petite pointe d’inspiration supplémentaire, un zeste de folie pour dynamiser l’ensemble. On ne retrouve pas suffisamment ce montage virtuose et entraînant qui sublimait les œuvres précédemment citées.
Mais le vrai problème est ailleurs. Ce qui fait vraiment défaut à Micmacs à tire-larigot, c’est l’intérêt que l’on peut porter aux personnages et aux enjeux de leur quête. Le film démarre trop vite. En deux scènes courtes, reliées avec un certain panache, Jeunet scelle le sort du père de Bazil et de Bazil lui-même. Belle ellipse, qui constitue une belle prouesse narrative, mais qui, hélas, nous empêche de nous identifier au personnage et de partager son envie de vengeance… Logiquement, on aurait dû compatir aux malheurs de Bazil, qui se retrouve avec un projectile logé dans le crâne menaçant de le tuer à n’importe quel moment, perd son emploi, son logement, se retrouve obliger de mendier et de ruser pour survivre. Il n’en est rien, sans doute parce que cette pluie de mésaventures qui s’abat sur lui est présentée de façon totalement lisse, très rapidement, sans le minimum requis de pathos… Evidemment, on peut considérer qu’il n’y a pas besoin de faire de grands discours pour dire que les trafics d’armes sont humainement et moralement scandaleux, et donc pour faire adhérer le spectateur au combat de Bazil. Soit, mais à ce moment là, quel intérêt de faire un film qui enfonce des portes ouvertes ?
On ne s’attache donc pas vraiment au personnage principal - campé par un Dany Boon pas spécialement transcendant, ce qui n’aide rien…- et les deux « méchants » de l’histoire – joués par André Dussollier et Nicolas Marié- ne sont pas rendus assez antipathiques pour que l’on prenne un plaisir jouissif à les voir persécutés par notre commando de branquignols. Mais pire, on ne s’attache pas trop non plus aux personnages secondaires qui composent ledit commando. Hormis le personnage de la môme Caoutchouc, la contorsionniste loufoque jouée par Julie Ferrier, convaincante, et Remington, l’agaçant défenseur des expressions à l’emporte-pièce, trop mis en avant, les autres ne sont pas assez étoffés. On aurait aimé en savoir plus sur le douloureux passé de Tambouille (Yolande Moreau, excellente dans ces rôles de matrone gueularde au grand cœur), sur les raisons qui poussent Petit Pierre à faire ses drôles d’automates, sur la petite Calculette (Marie-Julie Baup) et son toc particulier ou sur le vieux Placard (Jean-Pierre Marielle, sous-exploité)… Ils ne sont ici que des silhouettes participant à l’ambiance, pas des moteurs effectifs de l’action. Evidemment, Jeunet ne pouvait pas prendre le temps d’approfondir chaque personnage au risque de plomber le rythme du film, il est vrai plutôt enlevé.
Mais le cinéaste a suffisamment de talent pour réussir des courts portraits qui en disent autant que les longs. Il l’a déjà prouvé par le passé dans ses longs et dans ses courts-métrages. Là, le spectateur se trouvera un peu frustré… Une quinzaine de minutes supplémentaires n’auraient pas forcément été du luxe pour soigner un peu plus ces protagonistes et rendre le récit plus enthousiasmant…
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir. Si Micmacs à tire-larigot n’est pas, loin s’en faut, le meilleur film de Jeunet, il reste cependant supérieur à bon nombre de navets dont la comédie française semble hélas s’être fait une spécialité… Le film possède même un certain cachet et il est toujours réjouissant de voir David terrasser Goliath, surtout quand le Goliath en question personnifie les dérives de nos sociétés ultralibérales, où les plus riches, de par leurs relations haut-placées et leur pouvoir économiques se sentent au-dessus des lois…
Note :