(Oui, c'est un concept, je vais faire tous mes titres en ",etc")
Il y a quelques temps, j'avais été amicalement invitée à l'avant-première du film d'Ovidie et de Jack Tyler, Histoire de sexe(s).[phrase personal-branding-je-suis-une-communicante-de-moi-même] Et je n'en avais parlé nulle part, pour l'instant. Plusieurs raisons à cela. La première, parce que je n'en avais pas grand chose à dire, à part évidemment que j'étais contre sa classification X. Je crois même qu'au petit questionnaire distribué par FrenchLover qui voulait savoir si on souhaitait voir ce film classifié -18 ans, ou classifié X, j'avais crayonné une troisième case "rien du tout". Pour finalement repartir avec mon papier-questionnaire chez moi, demi-rebelle sans vraies couilles que je suis. Autre raison : parce que je n'en avais pas forcément pensé que du bien, ni de mal non plus et que, loué soit Darwin, mon métier qui me fait vivre n'est pas celui de critique de cinéma. Encore une autre raison : parce que je trouvais que ce qui en avait été dit ici, je pouvais en signer l'intégralité ; alors à quoi bon faire doublon ?
Mais c'était sans compter mon nouveau statut d'intellectuelle influente et d'autres "féministe hédoniste" intimé par ma page Wikipédia (ceci est un running gag). Me revoilà interviewée dans Slate par Quentin Girard, et revoici l'intégralité de l'entretien ci-dessous :
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D’un coté en Suède on finance des films pornos féministes en Suède, de l’autre on classe X des œuvres qui tentent de diversifier le genre en France. Deux poids deux mesures en Europe ?
Oui, et ça ne serait pas la première fois que cela arrive. Comme sur d'autres sujets, les pays européens ne sont pas tous d'accord sur le travail du sexe. En France, on subit une élite très abolitionniste pour qui "travail du sexe" est un dangereux oxymore (Gisèle Halimi ne veut, par exemple, même pas dialoguer avec des prostituées, des acteurs et actrices pornos et ceux et celles qui les défendent), mais ce n'est pas la même chose partout. Pour ce que j'en sais, l'Allemagne et la Suisse (qui fait partie de l'Europe géographique et non politique) sont plus libérales en termes de prostitution, ce n'est donc pas étonnant que la Suède soit plus libérale en termes de porno. Je trouve pour ma part cette différence de points de vue stimulante.
Est-ce que c’est une question de la qualité de la production ? Dirty Diaries serait plus artistique que Histoire(s) de sexe ?
Je ne peux pas me prononcer, car j'ai vu Histoire(s) de sexe, et non pas Dirty Diaries. Mais l'artistique, c'est relatif. On a par exemple beaucoup parlé des films de Second Sexe, avalisés Arte et Télérama, avec des "stars" du monde non-porno à la réalisation comme Mélanie Laurent, Caroline Loeb, Arielle Dombalse, etc. Pour ce que j'en ai vu, j'ai trouvé ça complètement nul, artistiquement comme érotiquement parlant, des espèces de délires bobos sur "une" sexualité féminine qui pour moi n'existe pas. Mais ça, c'est propre, c'est hype, ça mérite de l'argent et de l'attention médiatique, parce que ça montre globalement tout ce qu'on attend sur la sexualité féminine, à savoir des stéréotypes de filles surexcitées dès qu'on commence à leur toucher en chuchotant le haut de la culotte sous une lumière tamisée. C'est justement aussi tous ces clichés de sexualité de magazine féminin que le film d'Ovidie et de Jack Tyler essaie de déconstruire, et ça fait du bien.
Ou est-ce que ce n’est pas une question de lobby, lobby féministe puissant en Suède, poids du lobby porno insignifiant en France ?
Oui, certainement. Je pense aussi que la Suède est un pays bien plus féministe égalitariste et antisexiste que la France - cela fait longtemps qu'on y trouve par exemple des crèches au travail, que la parité est bien plus avancée que chez nous, etc. La mentalité "lambda" suédoise est bien moins misogyne que la française, ça doit aussi jouer. Mais, là aussi pour ce que j'en sais de mon dialogue avec Petra Östergen, il me semble que même s'ils sont relativement évolués en termes de féminisme pro-sexe, ils sont aussi très durs avec la prostitution (je crois bien que c'est l'un des rares pays européens à pénaliser les clients).
Au-delà de ça, est-ce que la classification du X en France enlève toute possibilité d’une production de qualité, comme semble le dire Agnes Giard par exemple ?
C'est même évident. Le X fait doublement du mal au porno : il le ghettoise, et le condamne à une production cheapement masturbatoire. Je me rappelle du cas d'Inkorrekt(e)s de John B. Root, qui certes n'avait même pas tenté une classification devant le CNC pour ce film, mais avait reçu un très mauvais accueil de la part de Canal +, cet important financier du porno français qui ne donne pourtant qu'une misère associée à une liste longue comme le bras de choses à ne pas filmer sous peine de ne pas recevoir ladite misère. John B. Root avait fait le choix de couper au milieu les scènes explicites et de tourner la caméra sur le paysage corse, par exemple, et "personne ne pouvait se branler devant", selon les termes officiels de la chaîne. C'est le serpent qui se mord la queue (ah ah). Taxer à fond les films pornos pour leur couper toute vie en salles les condamne à du gonzo vite et économiquement tourné - et donc rentable en vidéo, à la télé ou sur Internet.
Est-ce que les films là (Dirty Diaries et Histoires de sexe(s) ) sont vraiment des films meilleures que la moyenne ou est-ce un coup de pub juste ?
Là encore, je ne me prononce que sur Histoire de sexe(s). En effet, c'est à mon avis un film meilleur que la moyenne...des films pornos actuels français. J'ai par exemple préféré Histoires de sexe(s) à Ludivine de John B. Root - réalisateur que j'aime par ailleurs beaucoup. Maintenant, il ne dépasse pas, toujours à mon avis, les superproductions américaines qui, elles, ont de l'argent (les productions des studios Digital Playground, celles du réalisateur John Staglione, etc.). Quant à le comparer à des films "normaux", je me suis bien moins emmerdée à la projection du film d'Ovidie et de Jack Tyler qu'à celle du dernier Resnais, qui doit faire partie des pires expériences cinématographiques de ma courte vie, en ex aequo avec Disco. En ce qui concerne les coups de pubs, je ne vois pas pourquoi il faudrait empêcher un film comme Histoire de sexe(s) de se servir des armes marketing pour fonctionner - et tout le monde sait que les scandales servent souvent à faire de l'argent. On peut aussi parler de la capitalisation sur un mort, avec l'exemple du dernier film de Claude Berri, par exemple. La pub, c'est le mal, point :-)
Pour Histoire de sexe par exemple, je n’ai pas vu le film encore mais ça ressemble dans la BA a un porno vraiment traditionnel qui sous couvert d’éducation passe à un film avec des scènes de cul et un jeu d’acteurs pas top.
Oui, certes, j'ai aussi l'impression qu'Ovidie et Jack Tyler ont été un peu gentiment faux cul, en parlant par exemple des 95% de scènes non explicites. Mon sentiment après l'avoir vu, c'est qu'on a un bon 50/50 quand même. Reste qu'il y a vraiment des passages très drôles ou très "instructifs", que les acteurs font tout ce qu'ils peuvent, en particulier Sébastian Barrio et Judy Minx, qui sont loin d'être mauvais. Mais oui, à mon avis, les scènes explicites sont très "porno classique" - assez longues, avec beaucoup de gros plans, etc. Mais maintenant, pourquoi s'en prendre aux mauvais films seulement quand ils ont du cul dedans ? Et plus fondamentalement, pourquoi la sexualité devrait-elle être une activité tellement à part de notre vie quotidienne qu'il faudrait sectoriser à fond sa représentation filmée ? Des films où des gens mangent, pleurent, conduisent des voitures ou se coupent la carotide, ça ne dérange (presque) personne, et on n'imagine pas de taxation ni de distribution spécifique pour autant. Si on considère que le sexe est réservé aux adultes, alors très bien, mais l'interdiction aux moins de 18 ans suffit amplement.