Il lui attrape le visage et l’embrasse, encore et encore. Que peut faire ce jeune soldat soudanais face à l’hystérie de ce supporteur algérien ? Rien, si ce n’est sourire, remettre son casque trop grand pour lui et ranger sa mitraillette. Mercredi 18 novembre, l’Algérie s’est qualifiée pour le Mondial 2010 en battant l’Egypte (1-0), lors du match d’appui organisé à Omdurman, non loin de Khartoum, la capitale du Soudan.
“On était venu avec un esprit de vengeance”, reconnaît Walid Bougurra, un lycéen d’Alger de 17 ans. Les 10 000 supporteurs arrivés en avion depuis l’Algérie avaient tous en tête les mêmes images. Celles du bus “caillassé” de leur équipe arrivant au Caire – lors de la rencontre précédente perdue (2-0) samedi 14 novembre -, des visages ensanglantés de joueurs…
Quelques heures avant cet ultime match entre les Fennecs et les Pharaons, à deux pas du stade Merreikh, des supporteurs algériens se pavanaient encore devant les caméras, arborant fièrement couteaux, sabres et autres nunchakus. Des étendards égyptiens sont piétinés, brûlés…
Les tribunes débordent de jeunes, ensevelis sous les drapeaux verts. “One, two, three, viva l’Algérie” : un slogan qui résonne dans le ciel au point de couvrir les sifflets des Egyptiens un peu moins nombreux. Certains supporteurs algériens promettent de “trancher la gorge” à leurs “anciens frères” et leur font signe de se retrouver à la fin du match. Mais l’affrontement n’a pas eu lieu.
LE BALLET DES BRANCARDIERS
Plus de 15 000 soldats à l’allure d’adolescents jouant à la guerre ont été déployés de Khartoum à Omdurman. Trois rangées de militaires – bouclier en plexiglas, long bâton de défense à la main, masque sur la bouche – entourent la pelouse. Et puis ce message dans un mégaphone : “Hey les Algériens ! Si vous gagnez et que vous envahissez le terrain, vous serez éliminés. C’est un communiqué de la FIFA.” Des bouteilles en verre sont jetées sur les Egyptiens. “Non”, hurle une partie de la tribune “verte”.
Devant la pelouse, Walter Gagg, le représentant de la fédération internationale de football, semble perdu. “On n’a pas l’habitude d’organiser des matchs comme celui-ci”, dit-il. Satisfait de la sécurité ? “Toutes les conditions ne sont pas remplies”, avoue-t-il. Alors pourquoi maintenir le match ? “Parce qu’il est prévu !” Pourquoi ne pas avoir envisagé un huis clos ? “Ah non, je suis contre. Le football est une fête, assure M. Gagg. Ce que je crains, ce sont des débordements après la rencontre.”
A la 94e minute, l’Algérie explose ! Les larmes de joie font baisser les armes. “Il y a une justice, Dieu nous a vengés”, lâche-t-on. Supportrices comme supporteurs se tiennent la tête : “Vingt-quatre ans qu’on attendait cela !”, crient-ils dans tous les sens. On s’embrasse, on s’enlace à s’en briser le dos. Les Egyptiens sont évacués du stade en premier. Les Algériens sont confinés dans leur tribune. Impossible de franchir le cordon formé par les soldats soudanais. Pendant ce temps, c’est le ballet des brancardiers : ils évacuent des dizaines de jeunes évanouis, étouffés par la chaleur.
Une demi-heure après la fin du match, les supporteurs des Fennecs s’échappent enfin dans les rues sablonneuses. Un taxi et direction l’aéroport ou l’hôtel. D’Omdurman à Khartoum, sur des kilomètres, des milliers de Soudanais improvisent une haie d’honneur sur le bord de la route. A peine remis de leur rêve, les Algériens, qui n’avaient plus participé à un Mondial depuis 1986, en caressent un autre : rencontrer la France…
Mustapha Kessous, Envoyé spécial à Omdurman (Soudan)/ LE MONDE