Ponce Pilate, le gouverneur (procurateur) romain de la Palestine, se trouve face à face avec le Seigneur de l’univers. Pilate est agité par les circonstances, mais lucide, car il est encore tôt. Jésus, lui, est exténué par les douze premières heures de sa passion, mais ses yeux brillent de l’amour et de la détermination qui l’ont conduit jusqu’à cette heure. Il est venu dans ce monde pour sauver l’âme de Pilate, et voilà que la Providence les a fait enfin se rencontrer. Jésus veut attirer ce patricien romain à son cœur. Toutes les conditions sont réunies pour que Pilate puisse déceler en Jésus ce Dieu que, secrètement, il cherche. Et pourtant il n’y arrive pas. Il se trouve avec Jésus au même endroit, il lui parle, mais son cœur n’est pas touché. Pourquoi ?
Jésus lui-même nous en fournit l’explication quand il dit à Pilate :
« Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
En disant cela, Jésus nous enseigne le secret pour vivre dans l’intimité avec Dieu. Celui qui se laisse guider par ce qui est vrai sera aspiré dans la communion au Christ, entendra et suivra les incessantes motions de l’Esprit qui nous pousse à suivre Jésus de plus près.
Mais se laisser conduire par la vérité, cela requiert de l’humilité. Cela nous demande de reconnaître une autorité supérieure à notre intelligence. Si je suis obligé de découvrir, d’accepter et de me conformer à ce qui est objectivement vrai (moralement, physiquement, historiquement), je ne suis pas indépendant, je ne suis pas le maître de l’univers, je ne suis pas Dieu.
Faire cet acte d’humilité, qui nous libère des liens paralysants de l’égoïsme, voilà qui est dur ! Notre nature humaine déchue tend plutôt vers l’orgueil, la domination, l’autosuffisance. Résister à ces tendances, obéir à la vérité, et s’exposer à l’ardent amour de Dieu, cela demande du courage. La courageuse et humble acceptation de la vérité divine, de la vérité qui est que Dieu est amour : voilà la seule voie pour suivre notre Roi éternel, et pour faire l’expérience de la plénitude qui est le privilège des citoyens du Royaume éternel.
La haine ou la peur de la vérité, qui peuvent nous rendre sourds à la voix discrète de Dieu dans nos cœurs, comme dans le coeur de Pilate, c’est cela que l’on appelle le relativisme moral. Notre Saint-Père, le Pape Benoît XVI a mis en garde le monde contre le progrès incessant du relativisme dans notre société moderne, et ceci dès le premier jour de son pontificat. Il considère que c’est une des plus grandes menaces contre le bien commun auquel l’Eglise doit faire face aujourd’hui. Dans un discours à la Commission Théologique Internationale du 5 octobre 2007, il s’est exprimé en ces termes :
« (Mais) c'est précisément en raison de l'influence de facteurs d'ordre culturel et idéologique, que la
société civile et séculière d'aujourd'hui se trouve dans une situation d'égarement et de confusion: on a perdu l'évidence originelle des fondements de l'être humain et de son action éthique
(…) Le problème qui se pose n'est donc pas la recherche du bien, mais celle du pouvoir, ou plutôt de l'équilibre des pouvoirs. A la racine de cette tendance se trouve le relativisme éthique
(…)
« Lorsque les exigences fondamentales de la dignité de la personne humaine, de sa vie, de l'institution familiale, de la justice, de l'organisation sociale, c'est-à-dire les droits fondamentaux de l'homme, sont en jeu, aucune loi faite par les hommes ne peut renverser la règle écrite par le Créateur dans le cœur de l'homme, sans que la société elle-même ne soit dramatiquement frappée dans ce qui constitue sa base incontournable (…) Si, en raison d'un obscurcissement tragique de la conscience collective, le scepticisme et le relativisme éthique parvenaient à effacer les principes fondamentaux de la loi morale naturelle, l'ordre démocratique lui-même serait radicalement blessé dans ses fondements. »
Si nous "appartenons" à la vérité, si nous ne laissons pas l’égoïsme et l’égocentrisme nous transformer en ennemis de la vérité, alors, le Christ nous promet que nous serons capables "d’écouter sa voix" et de le suivre jusque dans son Royaume éternel.
La liberté du Royaume du Christ est une liberté intérieure, une paix et une force d’âme que seule sa grâce peut nous donner. Si nous n’avons pas encore pu faire une expérience assez forte de cette paix et de cette force d’âme, il pourrait y avoir plusieurs raisons à cela. Cela pourrait être tout simplement parce que nous ne connaissons pas suffisamment son enseignement pour pouvoir le comprendre et pour parvenir à le suivre. Dans les générations précédentes, les valeurs de la culture populaire étaient, la plupart du temps, inspirées par une vision chrétienne du monde. Le monde du spectacle, les écoles, et le genre de vie encouragé par la société étaient plus ou moins en harmonie avec le message moral et spirituel tel que les gens pouvaient en entendre parler à la messe du dimanche, si bien que l’homélie dominicale était appuyée et renforcée par de multiples autres sources d’inspiration.
Aujourd’hui les choses on bien changé. Le monde qui nous entoure est un monde sécularisé, dont le comportement est souvent profondément antichrétien. Dans un tel contexte, le catéchisme de notre enfance et l’homélie dominicale ne suffisent plus. Si vraiment nous voulons nous comprendre, nous-mêmes et le monde qui nous entoure, à la lumière du la vérité salutaire du Christ, nous devrons adopter un rôle plus actif. Si, tout au long de la semaine, nous nous exposons aux images et aux informations véhiculés par le monde, nous serons peu à peu sécularisés, même si, par ailleurs, nous continuons d’aller à la messe tous les dimanches. Alors il ne faudra pas être surpris si nous ne faisons pas l’expérience de la liberté intérieure que le Christ nous promet. Pour le suivre avec fidélité, nous devrons le chercher, prendre du temps chaque jour pour la prière personnelle et pour l’approfondissement de notre foi par l’étude.
Dans un monde qui se trouve ouvertement en révolte contre le Royaume du Christ, nous serons inexorablement aspirés nous aussi dans cette révolte, à moins que nous ne décidions, en tant que chrétiens, de suivre le Christ activement. En poursuivant cette célébration eucharistique du Christ, Roi de l’Univers, prenons (ou reprenons) cet engagement de notre baptême.